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DE LA DISTRIBUTION DES RICHESSES.

donc en réalité trois livres de sucre au prix de six francs de services productifs, tout comme le négociant achetait une paire de bas au prix de trois livres de sucre, c’est-à-dire de six francs de services productifs également. Mais quand l’une et l’autre denrée ont baissé de moitié, il n’a plus fallu qu’une paire, c’est-à-dire une dépense en frais de production égale à trois francs, pour acheter trois livres de sucre, et il n’a plus fallu que trois livres de sucre, c’est-à-dire, des frais de production égaux à trois francs, pour acheter une paire de bas.

Or, si deux produits que nous avons mis en opposition, et que nous avons fait acheter l’un par l’autre, ont pu baisser tous les deux à la fois, n’est-on pas autorisé à conclure que cette baisse est réelle, qu’elle n’est point relative au prix réciproque des choses, que les choses peuvent toutes baisser à la fois, les unes plus, les autres moins, et que ce que l’on paie de moins dans ce cas, ne coûte rien à personne ?

Voilà pourquoi dans les temps modernes, quoique les salaires, comparés à la valeur du blé, soient à peu près les mêmes, les classes pauvres du peuple sont néanmoins pourvues de bien des utilités dont elles ne jouissaient pas il y a quatre ou cinq cents ans, comme de plusieurs parties de leur vêtement et de leur ameublement, qui ont réellement baissé de prix ; c’est aussi pourquoi elles sont moins bien pourvues de certaines autres choses qui ont subi une hausse réelle, comme de viande de boucherie et de gibier[1].

Une économie dans les frais de production indique toujours qu’il y a moins de services productifs employés pour donner le même produit ; ce qui équivaut à plus de produit pour les mêmes services productifs. Il en résulte toujours une augmentation de quantité dans la chose produite. Il semblerait que cette augmentation de quantité pouvant n’être pas suivie d’une augmentation de besoin de la part des consommateurs, il pour-

  1. Je trouve dans les Recherches de Dupré de Saint-Maur, qu’en 1342 un bœuf se vendait 10 à 11 livres tournois. Cette somme contenait alors 7 onces d’argent fin, qui avaient à peu près la même valeur que 42 onces de nos jours. Or, 42 onces, exprimées en notre monnaie, valent 245 francs, prix au-dessous de celui que vaut maintenant un bœuf ordinaire. Un bœuf qu’on achète maigre, en Poitou, 500 fr., après avoir été engraissé dans la Basse-Normandie, se vend, à Paris, de 450 à 500 fr. La viande de boucherie a donc augmenté de prix depuis le quatorzième siècle, et probablement aussi plusieurs autres denrées alimentaires, mais non pas celles probablement qui composent le fond de la nourriture du peuple ; car la population s’est accrue.