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LIVRE SECOND. — CHAPITRE III.

globe. On aurait seulement donné alors, en échange de la même quantité de métaux précieux, une beaucoup plus grande quantité de toute espèce de marchandise. Les produits de l’industrie seraient devenus moins chers en argent ; ou, ce qui est la même chose, l’argent serait devenu plus cher, plus précieux, étant payé en produits.

L’abondance des mines a permis d’en extraire les métaux précieux avec des frais égaux au sixième seulement de ce qu’ils coûtaient auparavant ; dès-lors, avec une même quantité de blé qui est supposée coûter à produire autant qu’autrefois, on a pu obtenir six fois autant de métaux précieux qu’on en obtenait alors. Car si l’on n’en avait pas obtenu cette quantité en offrant du blé en échange, on l’aurait obtenue en consacrant à faire venir de l’argent, une partie des avances consacrées à la production du blé. En admettant cette donnée (des frais de production de l’argent devenus six fois moindres), la quantité de l’argent fût-elle décuple, fût-elle vingtuple de ce qu’elle était, sa valeur ne devait pas tomber au dixième, au vingtième de sa valeur ancienne, mais seulement au sixième[1].

Nous venons de voir que la valeur propre des métaux précieux, a toujours été en déclinant depuis la découverte de l’Amérique jusqu’au commencement de ce siècle. Il est probable qu’elle continue à décroître journellement : le prix de toute chose en argent, du moins en France, ne cesse d’augmenter, si ce n’est lorsqu’une cause accidentelle, comme une cessation de guerre, une diminution de droits, un procédé de production plus expéditif, change cette marche, et fait baisser le prix réel de certains objets en particulier, plus que n’augmente leur prix en argent.

  1. Locke estimait que la découverte de l’Amérique avait décuplé la quantité de métaux précieux qui étaient entre les mains des hommes. Si cela était vrai de son temps (vers l’année 1700), cette quantité serait maintenant non pas dix fois, mais vingt-deux fois aussi grande ; car, suivant M. de Humboldt, la quantité de métaux précieux versés par les mines d’Amérique jusqu’en l’année 1700, peut être évaluée à 2,458 millions de piastres. Si le neuvième de cette somme existait dans l’ancien monde avant la découverte de l’Amérique, il y en avait donc une quantité égale à 275 millions de piastres. Or, en l’année où M. de Humboldt écrivait (1804), on avait, selon lui, extrait jusqu’alors des mines d’Amérique 5,731 millions de piastres, auxquels il faudrait ajouter les 275 millions déjà existans, qui porteraient la quantité totale à 6,004 millions, dont 275 ne sont que la vingt-deuxième partie. Mais sur quelles données Locke pouvait—il présumer qu’il n’y avait dans le vieux monde que la neuvième partie des métaux précieux qui circulaient de son temps ?