Page:Say - Traité d’économie politique.djvu/368

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
367
DE LA DISTRIBUTION DES RICHESSES.

qu’établit dans les profits industriels et dans des carrières semblables, la différence des talens acquis.

La rareté de certains talens en proportion des besoins qu’éprouve la société, fait qu’on paie les services productifs qui en émanent incomparablement plus cher que d’autres. Chez un peuple nombreux, à peine y a-t-il deux ou trois personnes capables de faire un très-beau tableau ou une très-belle statue : aussi se font-elles payer à peu près ce qu’elles veulent, si la demande est un peu forte ; et quoiqu’il y ait sans contredit une portion de leurs profits qui représente l’intérêt des avances employées à l’acquisition de leur art, cette portion de profits est petite relativement à celle qu’obtient leur talent. Un peintre, un médecin, un avocat célèbre, ont dépensé, soit par eux-mêmes, soit par leurs parens, trente ou quarante mille francs au plus pour acquérir le talent qui fonde leur revenu : l’intérêt viager de cette somme est quatre mille francs au plus ; s’ils en gagnent trente, leurs qualités industrielles seules sont payées vingt-six mille francs par année. Et si l’on appelle biens ou fortune tout ce qui donne des revenus, on peut évaluer leur fortune à trois cent mille francs, au denier dix, même quand ils n’ont pas pour un sou de patrimoine.

§ II. — Des Profits du Savant.

Le savant, l’homme qui connaît le parti qu’on peut tirer des lois de la nature pour l’utilité des hommes, reçoit une fort petite part des produits de l’industrie, à laquelle cependant les connaissances dont il conserve le dépôt et dont il recule les bornes, contribuent si puissamment. Quand on en cherche la raison, ou trouve (en terme d’économie politique) que le savant met en quelques instans dans la circulation une immense quantité de sa marchandise, et d’une marchandise encore qui s’use peu par l’usage ; de manière qu’on n’est point obligé d’avoir recours à lui de nouveau pour en faire de nouvelles provisions.

On doit souvent les connaissances qui servent de fondement à une foule de procédés dans les arts, aux études laborieuses, aux réflexions profondes, aux expériences ingénieuses et délicates, des chimistes, des physiciens, des mathématiciens les plus éminens. Or, ces connaissances sont contenues dans un petit nombre de pages qui, prononcées dans des leçons publiques ou répandues par la voie de l’impression, se trouvent jetées dans la circulation en quantité fort supérieure à la consommation qui peut s’en faire ; ou plutôt elles s’étendent à volonté sans se consommer, sans qu’on soit obligé, pour se les procurer, d’avoir de nouveau recours à ceux de qui elles sont originairement émanées.