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DE LA DISTRIBUTION DES RICHESSES.

aucun profit sans le secours de l’autre ; mais le besoin du maître est moins immédiat, moins pressant. Il en est peu qui ne pussent vivre plusieurs mois, plusieurs années même, sans faire travailler un seul ouvrier ; tandis qu’il est peu d’ouvriers qui pussent, sans être réduits aux dernières extrémités, passer plusieurs semaines sans ouvrage. Il est bien difficile que cette différence de position n’influe pas sur le réglement des salaires.

M. de Sismondi, dans un ouvrage publié depuis la troisième édition de celui-ci[1], propose quelques moyens législatifs d’améliorer le sort de la classe ouvrière. Il part de ce principe que le bas salaire des ouvriers tourne au profit des entrepreneurs qui les font travailler ; de là il conclut que ce n’est pas la société qui doit, dans leur détresse, prendre soin des ouvriers, mais les entrepreneurs qui les emploient. Il veut qu’on oblige les propriétaires terriens et les gros fermiers à entretenir en tout temps les ouvriers des champs, et qu’on oblige les manufacturiers à entretenir ceux qui travaillent en ateliers. En même temps, pour que la sécurité qui résulterait dans l’esprit des ouvriers de la certitude d’un entretien suffisant et d’eux-mêmes et de leurs enfans, ne les multipliât pas outre mesure, il accorde aux entrepreneurs qui en auraient la charge, le droit de permettre et d’empêcher leurs mariages.

Ces propositions, dictées par une louable philanthropie, ne me semblent pas admissibles dans la pratique. Ce serait renoncer à tout respect de la propriété, que de grever une partie de la société de l’entretien d’une autre classe, et de la contraindre à payer une main-d’œuvre lorsque aucun produit ne peut la rembourser ; et ce serait la violer bien plus encore que d’attribuer à qui que ce fût un droit sur la personne d’autrui, qui est la plus sacrée de toutes les propriétés. En interdisant toujours plus ou moins arbitrairement le mariage des uns, on rendrait plus prolifique le mariage des autres. D’ailleurs, il n’est pas vrai que ce soient les entrepreneurs d’industrie qui profitent des bas salaires. Les bas salaires, par suite de la concurrence, font baisser le prix des produits auxquels l’ouvrier travaille ; et ce sont les consommateurs des produits, c’est-à-dire la société tout entière, qui profitent de leur bas prix. Si donc, par suite de ces bas prix, les ouvriers indigens tombent à sa charge, elle en est indemnisée par la moindre dépense qu’elle fait sur les objets de sa consommation.

Il est des maux qui résultent de la nature de l’homme et des choses. L’excès de la population par-dessus les moyens de subsistance, est de ce

  1. Nouveaux principes d’Économie politique, liv. VII, ch. 9.