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LIVRE SECOND. — CHAPITRE X.

nément au propriétaire la moitié du produit brut. Ce genre de culture appartient à un état peu avancé de l’agriculture, et il est le plus défavorable de tous aux améliorations des terres ; car celui des deux, du propriétaire ou du fermier, qui fait l’amélioration à ses frais, ne retire que la moitié du fruit de sa dépense, puisqu’il est obligé d’en partager le produit. Cette manière d’affermer était plus usitée dans les temps féodaux que de nos jours. Les seigneurs n’auraient pas voulu faire valoir par eux-mêmes, et leurs vassaux n’en avaient pas les moyens. On avait de gros revenus parce qu’on avait de gros domaines, mais les revenus n’étaient pas proportionnés à l’étendue du terrain. Ce n’était pas la faute de l’art agricole, c’était le défaut de capitaux placés en amendemens. Le seigneur, peu jaloux d’améliorer son fonds, dépensait, d’une manière très-noble et très-improductive, un revenu qu’il aurait pu tripler : on fesait la guerre, on donnait des fêtes, on entretenait une suite nombreuse. Le peu d’importance du commerce et des manufactures, joint à l’état précaire des agriculteurs, explique pourquoi le gros de la nation était misérable, et pourquoi la nation en corps était peu puissante, indépendamment de toute cause politique. Cinq de nos départemens seraient maintenant en état de soutenir des entreprises qui écrasaient la France entière à cette époque ; mais les autres états d’Europe n’étaient pas dans une meilleure position.

CHAPITRE X.

Quels sont les effets des Revenus perçus d’une nation dans l’autre.

Une nation ne saurait percevoir chez une autre ses revenus industriels. Le tailleur allemand qui vient travailler en France, y fait ses profits, et l’Allemagne n’y a point de part. Mais si ce tailleur a le talent d’amasser un capital quelconque, et si, au bout de plusieurs années, il retourne chez lui en l’emportant, il fait à la France le même tort que si un capitaliste français, ayant la même fortune, s’expatriait[1]. Il fait le même tort par rapport à la richesse nationale, mais non pas moralement ; car je sup-

  1. Cependant, si ce capital est le fruit des économies de l’artisan, en l’emportant il ne ravit pas à la France une partie des richesses qu’elle possédait sans lui. S’il était resté en France, la masse de capitaux français se serait trouvée accrue du montant de cette accumulation ; mais lorsqu’il emporte sa réserve, des valeurs de sa propre création, il n’en fait tort à personne, et par conséquent il n’en fait pas tort au pays.