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LIVRE TROISIÈME. — CHAPITRE IV.

rier, du marchand en détail, un travail précisément égal à ce qu’aurait exigé, pour parvenir au consommateur, une toile excellente. L’économie que je fais en achetant une médiocre qualité, ne porte donc point sur le prix de ces divers travaux, qu’il a toujours fallu payer selon leur entière valeur, mais sur le prix de la matière première seule ; et néanmoins, ces différens travaux, payés aussi chèrement, sont plus vite consommés si la toile est mauvaise que si elle est bonne.

Comme ce raisonnement peut s’appliquer à tous les genres de fabrication ; comme dans tous il y a des services qu’il faut payer sur le même pied, quelle que soit la qualité, et comme ces services font plus de profit dans les bonnes qualités que dans les mauvaises, il convient donc à une nation en général de consommer principalement des premières. Pour y parvenir, il faut qu’elle ait le goût de ce qui est beau est bon, et qu’elle sache s’y connaître : c’est encore un cas où les lumières[1] sont favorables à la prospérité d’un état ; il faut surtout que la généralité de la nation ne soit pas tellement misérable, qu’elle se trouve toujours contrainte d’acheter au meilleur marché, quoiqu’en dernier résultat, les choses ainsi achetées lui reviennent plus cher.

On sent que les réglemens par lesquels l’autorité publique se mêle des détails de la fabrication (en supposant qu’ils réussissent à faire fabriquer des marchandises de meilleure qualité, ce qui est fort douteux), sont insuffisans pour les faire consommer ; ils ne donnent pas au consommateur le goût des bonnes choses et les moyens de les acquérir. La difficulté se rencontre ici, non du côté du producteur, mais du côté du consommateur. Qu’on me trouve des consommateurs qui veuillent et qui puissent se procurer du beau et du bon, je trouverai des producteurs qui leur en fourniront. C’est l’aisance d’une nation qui la conduit à ce but ; l’aisance ne fournit pas seulement les moyens d’avoir du bon, elle en donne le goût. Or, ce ne sont point des réglemens qui procurent de l’aisance ; c’est la production active et l’épargne, c’est l’amour du travail favorable à tous les genres d’industrie, et l’économie qui amasse des capitaux. C’est dans les pays où ces qualités se rencontrent, que chacun acquiert assez d’aisance pour mettre du choix dans ses consommations. La gêne, au contraire, suit toujours la prodigalité ; et lorsqu’on est commandé par le besoin, on ne choisit pas.

  1. Par lumières, il faut entendre la connaissance du véritable état des choses, ou de ce qui est vrai, en tous genres.