Page:Say - Traité d’économie politique.djvu/455

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
454
LIVRE TROISIÈME. — CHAPITRE V.

famille, et même à ses goûts personnels. Une consommation trop réservée le prive des douceurs dont la fortune lui permet de jouir ; une consommation déréglée le prive des ressources que la prudence lui conseille de se ménager.

Les consommations des particuliers sont perpétuellement en rapport avec le caractère et les passions des hommes. Les plus nobles, les plus vils penchans y influent tour à tour ; elles sont excitées par l’amour des plaisirs sensuels, par la vanité, la générosité, la vengeance, la cupidité elle-même. Elles sont réprimées par une sage prévoyance, par des craintes chimériques, par la défiance, par l’égoïsme. De ces affections différentes, ce sont tantôt les unes, tantôt les autres qui prédominent et qui dirigent les particuliers dans l’usage qu’ils font des richesses. La ligne tracée par la sagesse est ici, comme dans tout le reste, la plus difficile à suivre. Leur faiblesse dévie tantôt d’un côté, tantôt d’un autre, et les précipite trop souvent dans l’excès.

Relativement à la consommation, les excès sont la prodigalité et l’avarice. L’une et l’autre se privent des avantages que procurent les richesses : la prodigalité en épuisant ses moyens ; l’avarice en se défendant d’y toucher. La prodigalité est plus aimable et s’allie à plusieurs qualités sociales. Elle obtient grâce plus aisément, parce qu’elle invite à partager ses plaisirs ; toutefois elle est, plus que l’avarice, fatale à la société : elle dissipe, elle ôte à l’industrie les capitaux qui la maintiennent ; en détruisant un des grands agens de la production, elle met les autres dans l’impossibilité de se développer. Ceux qui disent que l’argent n’est bon qu’à être dépensé, et que les produits sont faits pour être consommés, se trompent beaucoup, s’ils entendent seulement la dépense et la consommation consacrées à nous procurer des plaisirs. L’argent est bon encore à être occupé reproductivement : il ne l’est jamais sans qu’il en résulte un très-grand bien ; et toutes les fois qu’un fonds placé se dissipe, il y a dans quelque coin du monde une quantité équivalente d’industrie qui s’éteint. Le prodigue qui mange une partie de son fonds prive en même temps un homme industrieux de ses profits.

L’avare qui ne fait pas valoir son trésor dans la crainte de l’exposer, à la vérité ne favorise pas l’industrie, mais du moins il ne lui ravit aucun de ses moyens ; ce trésor amassé l’a été aux dépens de ses propres jouissances, et non, comme le vulgaire est porté à l’imaginer, aux dépens du public ; il n’a pas été retiré d’un emploi productif ; et à la mort de l’avare, du moins, il se place et court animer l’industrie, s’il n’est pas dissipé par