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LIVRE TROISIÈME. — CHAPITRE VII.

gouvernent, et nullement au profit de leurs administrés. Le seul intérêt des administrés est de communiquer librement entre eux, et par conséquent d’être en paix. Toutes les nations sont amies par la nature des choses, et deux gouvernemens qui se font la guerre ne sont pas moins ennemis de leurs propres sujets que de leurs adversaires. Si de part et d’autre les sujets épousent des querelles de vanité et d’ambition qui leur sont également funestes, à quoi peut-on comparer leur stupidité ? J’ai honte de le dire ; à celle des brutes qui s’animent et se déchirent pour le plaisir de leurs maîtres ?

Mais si déjà la raison publique a fait des progrès, elle en fera encore[1]. Précisément parce que la guerre est devenue beaucoup plus dispendieuse qu’elle n’était autrefois, il est impossible aux gouvernemens de la faire désormais sans l’assentiment du public, positivement ou tacitement exprimé. Cet assentiment s’obtiendra de plus en plus difficilement à mesure que le gros des nations s’éclairera sur leurs véritables intérêts. Dès-lors l’état militaire des nations se réduira à ce qui sera nécessaire pour repousser une invasion. Or, ce qu’il faut pour cela, ce sont quelques corps de cavalerie et d’artillerie qui ne peuvent se former à la hâte, et qui demandent une instruction préalable ; du reste, la force des états sera dans leurs milices nationales, et surtout dans de bonnes institutions : on ne surmonte jamais un peuple unanimement attaché à ses institutions, et il s’y attache d’autant plus qu’il aurait plus à perdre à changer de domination[2].


§ III. — Des dépenses relatives à l’enseignement public.


Le public est-il intéressé à ce qu’on cultive tous les genres de connais-

  1. Les personnes qui nient l’influence de la raison publique, ont lu l’histoire, avec peu de fruit. La guerre est accompagnée de moins d’atrocités et de perfidies qu’autrefois ; il s’en commet moins en Europe qu’en Asie et en Amérique ; et parmi les peuples d’Europe, ceux qui en commettent le moins, sont les plus éclairés. De notre temps, certaines entreprises peu généreuses ont soulevé l’opinion à tel point qu’elles ont été plus funestes qu’utiles à leurs auteurs.
  2. Je ne parle ici que des seules garanties sur lesquelles on puisse compter dans un siècle de lumières. Je sais que, sans avoir de bonnes institutions, des peuples se sont défendus avec le plus grand courage. Les musulmans se dévouent pour le despotisme et pour le Coran, comme si c’étaient de bonnes choses ; mais il faut un dévouement susceptible de résister à la chute des préjugés politiques et religieux, qui ne durent jamais qu’un temps.