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DE LA CONSOMMATION DES RICHESSES.


3o Ceux dont le fardeau est réparti équitablement.

L’impôt est un fardeau : l’un des moyens pour qu’il pèse le moins possible sur chacun, c’est qu’il porte sur tous. L’impôt n’est pas seulement une surcharge directe pour l’individu, ou la branche d’industrie qui en porte plus que sa part ; il est encore pour eux une surcharge indirecte : il ne leur permet pas de soutenir avec un avantage égal, la concurrence des autres producteurs. On a vu en mainte occasion tomber plusieurs manufactures par une exemption accordée à une seule d’entre elles. Une faveur particulière est presque toujours une injustice générale.

Les vices de répartition ne sont pas moins préjudiciables au fisc qu’ils ne sont injustes à l’égard des particuliers. Le contribuable qui est trop peu imposé ne réclame pas pour qu’on augmente sa quote, et celui qui est surtaxé paie mal. Des deux parts le fisc éprouve un déficit.

Est-il équitable que l’impôt soit levé sur cette portion des revenus que l’on consacre aux superfluités plutôt que sur celles qu’on emploie à l’achat des choses nécessaires ? On ne peut, ce me semble, hésiter sur la réponse. L’impôt est un sacrifice que l’on fait à la société, à l’ordre public ; l’ordre public ne peut exiger le sacrifice des familles. Or, c’est les sacrifier que de leur ôter le nécessaire. Qui osera soutenir qu’un père doit retrancher un morceau de pain, un vêtement chaud à ses enfans, pour fournir son contingent au faste d’une cour, ou bien au luxe des monumens publics ? De quel avantage serait pour lui l’état social, s’il lui ravissait un bien qui est le sien, qui est indispensable à son existence, pour lui offrir en échange sa part d’une satisfaction incertaine, éloignée, qu’il repousserait dès-lors avec horreur ?

Mais chaque fois qu’on veut marquer la limite qui sépare le nécessaire du superflu, on est embarrassé ; les idées qu’ils réveillent ne sont point absolues : elles sont relatives aux temps, aux lieux, à l’âge, à l’état des personnes, et si l’on voulait n’asseoir l’impôt que sur le superflu, on ne viendrait pas à bout de déterminer le point où il devrait s’arrêter pour ne pas prendre sur le nécessaire. Tout ce qu’on sait, c’est que les revenus d’un homme ou d’une famille peuvent être modiques au point de ne pas suffire à leur existence, et que depuis ce point jusqu’à celui où ils peuvent satisfaire à toutes les sensualités de la vie, à toutes les jouissances du luxe et de la vanité, il y a dans les revenus une progression imperceptible, et telle qu’à chaque degré, une famille peut se procurer une satisfaction toujours un peu moins nécessaire, jusqu’aux plus futiles qu’on puisse imaginer ; tellement que si l’on voulait asseoir l’impôt de chaque famille,