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pour ne s’y être pas conformé, vit sa contribution dans le payement des indemnités accrue de 500 p. 100, ce qui, sur son appel, fut réduit à 200 p. 100. On voit si les industriels ont trouvé le repos d’esprit que devait leur procurer le nouveau régime.

Ils ne s’effrayent pas moins du chiffre chaque année croissant des indemnités qu’ils ont à payer et qui sont loin d’avoir atteint leur plus haut degré  ; on calcule qu’il ne faudra pas moins de trente ans pour que l’effet complet soit produit. Une seule corporation, celle des chemins de fer, a voulu capitaliser les pensions dues ; elle est arrivée à exiger 4 p. 100 du salaire. L’État, de plus, a pris un engagement qui, dans l’avenir, pourrait le grever lourdement  : il a promis de satisfaire aux charges de toute corporation qui cesserait d’exister ou ne pourrait suffire à payer ses pensions.

À la charge pécuniaire imposée par la loi aux patrons, il faut ajouter la charge personnelle. Les corporations sont gérées par ceux de leurs membres que désignent les autres et l’acceptation est obligatoire. Ils sont obligés encore d’aller siéger dans les tribunaux d’appel et même à l’Office central de Berlin. La même charge, du reste, incombe, de ce chef, aux ouvriers.

Puis la corporation a le droit, pour restreindre les chances d’accident, de faire des règlements sur les machines et moteurs employés, sur les bâtiments, etc. Pour vérifier si ses prescriptions sont suivies et aussi pour contrôler les déclarations des divers patrons touchant le nombre et le salaire de leurs ouvriers, elle délègue des dignitaires qui vont inspecter les ateliers et les livres. Mais ces dignitaires sont des patrons du métier qui ont ainsi accès chez leurs concurrents et vont connaître leurs affaires.

Au fond, cette organisation de l’assurance forcée est un accroissement de puissance pour l’État. 11 sait exactement combien chaque industriel emploie d’ouvriers, combien il en employait avant, et, par suite, si ses affaires prospèrent ou décroissent. Il sait aussi quels salaires paye chaque chef de maison. L’Office impérial est devenu le centre de tout. « C’est à Berlin, écrivait M. Amédée Marteau dans son rapport, c’est à Berlin que tout le monde doit s’adresser ; c’est à Berlin qu’on doit aller grâce à de longs et onéreux voyages. C’est avec ce point central qu’il faut correspondre en toutes choses. » On conçoit l’admiration des socialistes pour un pareil système ; ils ne le cachent pas et le chef même de l’Office central, M. Bôdicker, disait à Berne, en 1891  : « Dans le parti socialiste on a dit cette parole qui mérite d’être relevée  : ce qu’il y a de mieux : dans l’assurance contre les accidents, c’est l’Office central. » Les socialistes sont, en effet, grands partisans de l’assurance obligatoire, et, lors du vote de la loi qui l’a établie, ils ont donné leur voix au gouvernement ; en le félicitant ironiquement de l’appui qu’il donnait ainsi à leurs doctrines. Mais quels résultats ont obtenu les promoteurs de cette loi ?

« Une des conséquences de l’assurance obligatoire, disait dans son rapport (cité au Journal des économistes de juillet 1802) notre ambassadeur à Berlin, M. Herbette, a été un affaiblissement immédiat des sentiments de dignité et des habitudes de contrôle réciproque chez les ouvriers qui cherchent à se procurer l’indemnité la plus forte, celle réservée pour l’incapacité totale de travail. Nombre d’entre eux aspirent, au moyen de la nouvelle loi, à se faire considérer comme invalides, ou tout au moins à allonger la durée de leurs maladies.

« On remarque que tout ouvrier chétif ou malingre dont la santé paraît devoir créer des charges pour les caisses de secours est impitoyablement refusé par les chefs de fabrique. »

Les charges de l’assistance publique, qui devaient être fort réduites, ne l’ont été nullement. C’est ce que constatait M. Arthur Raffalovich dans une communication à l’Académie des sciences morales (rapportée au Journal des économistes de décembre 1895, p. 303).

Le but principal qu’avaient cherché les auteurs du système a-t-il du moins été atteint ? Lorsque le grand chancelier de l’empire vint apporter au Reichstag ses projets de loi sur l’assurance obligatoire, il insista, pour le décider, sur la nécessité d’ôter au parti socialiste ses armes en mettant à effet quelques-unes de ses doctrines et il rappelait les 300 000 voix données aux candidats socialistes dans l’élection précédente  ; cinq d’entre eux avaient été élus. Le Reichstag a voté ce qui lui était demandé, un des vœux du parti socialiste a été mis à exécution, et aux élections dernières (1893) les candidats socialistes obtenaient deux millions de suffrages et quarante-cinq d’entre eux entraient au Reichstag.

B. Le même système projeté en France. — Nous sommes cependant menacés de voir ce régime de l’assurance forcée introduit en France  ; notre Parlement est saisi de projets de loi sur les « accidents du travail » qui aboutissent à cette conclusion  : obliger les patrons à payer une indemnité à tout ouvrier blessé. Le seul point qui semble douteux est de savoir si les patrons seront organisés en corporations obligatoires sous le contrôle