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curieuse est le Commentaire critique dont il accompagna une traduction des Principes de l’économie politique de J. Stuart Mill 1. Cette critique socialiste des doctrines du célèbre économiste anstlais a fait considérer Tchernichewsky comme le Karl Marx russe. Dans de nombreux articles insérés au « Contemporain », Tchernichewsky attaquait les doctrines libérales professées en Europe. Le cachot, l’exil en Sibérie furent le prix de ses travaux. Au fond de sa prison, il écrivit son célèbre roman nihiliste « Que faire? » œuvre de propagande, dont le succès et l’influence furent immenses et qui devint l’Évangile de tous les révolutionnaires.

Sous l’influence de ces deux écrivains l’opposition prit un caractère nouveau  ; elle devint plus doctrinaire, plus scientitique en même temps que plus vive. Le nihilisme proprement dit allait recruter en Russie un grand nombre d’adeptes.

Ce qu’on appelle ordinairement le nihilisme russe ne constitue pas une théorie déterminée, un corps de doctrines précises. C’est plutôt un état d’esprit qui, sous l’inllnence des idées socialistes et des hommes dont nous avons cité les noms, s’empara de la société russe. Cet état d’esprit consistait dans la négation systématique de la plupart des principes jusque-là regardés comme le fondement même de la société -. Le nihilisme fut donc un mouvement intellectuel et social. Chacun lui assigne le but qui lui plaît  ; les uns pour- suivent un but purement intellectuel, les autres désirent une rénovation philosophique, d’autres réclament des réformes économiques, plus ou moins hardies, en faveur du peuple. C’est le faisceau de toutes ces théories distinctes, économiques, scientifiques, philosophiques, littéraires, qui forme, à proprement parler, le mouvement nihiliste. Tous, à cette époque, ne peuvent donner qu’une forme à leurs idées  : la critique. Aussi, ce genre littéraire prit-il alors un développement exceptionnel avec Biclinshy, Dobrotioitbow et l’issarew.

Les nihilistes ne poursuivent pas, comme le nom qu’on leur donne semblerait l’indiquer et comme on le croit trop souvent, un but purement négatif. Ils ne veulent pas, comme Bakounine et ses disciples, détruire pour le seul plaisir de détruire  ; ce ne sont

1. L’ouvrage de Tchernichewsky a été traduit en français ?oii3 le titre  : u L’Ëconoynie politique jug/’-e par In scienci’ » (Bruxelles, 1874). Sur Tchernichewsky, on peut consulter  : Revue socialiste, 1883, p. 611 et p. 833, articles de M. P. Roiinier  ; septembre 1887 et décembre 1889, articles île M. H. Blalon.

2. Joseph de Maistre voyait déjà, en 1810, que sous l’influence de l’éducation qui leur était donnée, les jeunes Russes deviendraient des rienistes.


donc pas des anarchistes. C’est une œuvre de rénovation qu’ils poursuivent et non pas une œuvre de pandestruction  ; ils veulent créer un monde nouveau, touchés qu’ils sont par la vue des misères humaines. Loin de s’en tenir à un changement purement matériel de la situation des individus, ils vont plus avant, et dans leur désir ardent d’assurer le bonheur du plus grand nombre, ils veulent réaliser une réforme dans l’ordre moral. Ces désirs, cet amour profond du prochain expliquent fort bien cette tendance manifeste au perfectionnement moral que l’on peut observer facilement en étudiant la vie des principaux d’entre eux  ; chez la plupart on peut retrouver des aspirations altruistes très développées, en même temps qu’une véritable souffrance de se sentir trop faibles pour y apporter un soulagement efficace ’  ; ce sont de véritables émotionistes.

Les mesures auxquelles les nihilistes voulaient avoir recours pour la réalisation de leurs idées étaient le plus souvent pacifiques. Ceux qui, parmi eus, se refusant à compter sur le gouvernement, voulaient faire une révolution politique, soulever le peuple contre le tzarisme, ne formaient qu’un petit groupe. La plupart d’entre eux aspiraient à un régime libéral et réclamaient une constitution. Ils voulaient arriver à une réforme économique, proposaient de créer de nombreuses sociétés de production et de consommation et de développer l’antique institution de Vartel-, association de travailleurs dont tous les membres sont égaux en droit et solidairement responsables.

Répandue dans toute la Russie, usitée dans toutes sortes d’industrie, elle était la preuve manifeste des bienfaits de la coopération, du travail en commun, et les premiers nihilistes ne manquaient pas, dans leur propagande, de montrer aux paysans les heureux résultats qu’engendrent les efforls combinés et d’en tirer argument en faveur du communisme.

Cette tendance des nihilistes à indiquer au


1. Un exemple montrera combien certains propagandistes (v. au § suivant) ont souH’crt de se sentir trop faibles pour la tâche qu’ils s’étaient assignée. Sophie Bardlne, après s’être évadée de Sibérie, alla se fixer à Genève, et devant l’impossibilité où elle se trouvait de ne pouvoir plus aider à l’œuvre rêvée, elle préféra se donner la mort.

2. Vartel existe en Russie depuis plusieurs siècles. Le.s données précises ne remontent pas plus haut qu’au xW siè- cle, mais il y a do fortes raisons de croire que cette institu- tion po|iuIaire et nationale est encore plus ancienne. La res- |ioas ;ibiIité solidaiie des membres d’une artel est consarroe partout par la coutume, et quelques-unes de ses formes le sont même législativement. Outre les artrts industriels, on trouve des artels de consommation, de crédit et d assu- rance.


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