Page:Say et Chailley-Bert - Nouveau dictionnaire d'économie politique, supplément.djvu/240

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

CLASSES)


— 2-26 —


RURALES (CLASSES)


des Gallo-Romains. Or, ce qui est le plus caractéristique, c’est juslement leur grande liberté et leur puissant individualisme  ; ce sont là les traits les plus instructifs de leur vie et la cause qui leur donne la victoire de- puis leurs premières expéditions jusqu’aux conquêtes de l’Angleterre et de l’Italie par les Normands de Normandie  ; ce sont des personnalités fortes et infatigables, avec une fraîcheur, une spontanéité, et une élasticité des plus remarquables. C’est la grande masse du peuple qui est formée d’hommes libres, forts et puissants. Cela résulte du système de la guerre à cette époque, de même que l’aristocratie se relie à la méthode de guerroyer à cheval du moyen âge, et nous le savons de façon précise par tout ce qui nous est raconté par les chroniques franco-gau- loises et anglaises ainsi que par les sagas et les œuvres historiques du Nord. Les Normands sortent du Nord, chaque homme ou chaque petit chef pour son propre compte, sur leurs petits navires qui suivent les côtes  ; mais ils atteignent dans leur ensemble un si grand nombre que, depuis le 28 mars 84o, où le chef Régner avec 120 navires fit la conquête de Paris et rapporta en Danemark la ser- rure d’une des portes de la ville et une poutre de mélèze de l’église de Saint-Germain-des- Prés, jusqu’au siècle suivant, lorsque le roi Harald aux dents bleues fait voile pour la Norvège avec 700 navires, et plus tard, lorsque ses successeurs partirent pour la conquête de l’Angleterre, il est bien évident que ces guerriers représentent la masse du peuple. Un navire contientde 40 à 80 hommes  ; ce sont donc des arrivées de 5000 à 30 000 hommes. Lors de la conquête de la Normandie, les Normands répondent, d’après les chroniques françaises, aux ques- tions de l’envoyé de Charles le Simple qu’ils viennent du Danemark et qu’ils sont tous libres, sans maître, et égaux.

C’est par l’Islande, où émigrent, dans la même période d’exode, à la fin du ix’^ siècle, les hommes les plus indépendants du sud- ouest de la Norvège, qui ne veulent pas se soumettre au roi Harald aux beaux cheveux, que nous connaissons le mieux l’état social de cette dernière société teuloaique païenne. C’est la fleur de la société normande qui s’y cristallise et qui aura de bonne heure sa litté- rature, ces sagas qui appartiennent à la première littérature nationale du moyen âge et qui nous donnent un tableau si remar- quable des habitants, de leurs puissantes personnalités et de leur caractère, de leurs luttes et de leur manière de penser. Nous connaissons même les noms et les origines des principaux colons, et, évidemment, la


réi)ublique, qu’ils forment dans cette ile lointaine et isolée, est, dans ses principaux traits, une image de la société qu’ils ont quittée. Ces hommes, grands lutteurs, carac- tères fortement trempés, entièrement indé- pendants et libres, sont des bOnder, Bonde ou « habitant » étant le nom de l’homme ordi- naire et encore aujourd’hui du paysan Scan- dinave.

Les Normands sont les derniers colons teutoniques  ; mais, évidemment, ils ont eu, essentiellement, le même caractère et le même état social qu’avaient les autres con- quérants de la race. Sans doute, les hommes qui s’occupent les premiers des travaux agricoles, alors que les Teutons défrichent le sol, sont les esclaves ou autres dépendants. Nous le savons même par les anciens écrits, tels que les sagas du Nord. Mais la masse des colons, ces paysans, qui s’établissent comme cultivateurs, sont les mêmes que les guerriers. C’est alors que la conquête finit, dans les iv^ et V^ siècles, que les liommes teutons deviennent cultivateurs ou paysans. Je n’approuve pas la théorie d’après laquelle ils sont libres et égaux parce qu’ils sont guerriers  ; au contraire, la guerre engendre toujours un certain assujettissement  ; je pré- fère dire, avec Aristote, que c’est l’occupation agricole sous un climat dur et rude qui crée la liberté. Mais l’histoire entière des guerres et des conquêtes suffit pleinement pour faire désapprouverFusteldeCoulangesetSeebohm, quant à l’état général de dépendance, et pour donner essentiellement raison à l’ancienne théorie de la liberté et de l’égalité teuto- niques. La même colonisation teutonique en villages (dont nous parlons ailleurs), dont M. Seebohm déduit que les paysans ont été dépendants d’un maître, suppose, d’après la meilleure des autorités, M. Meitzen, jus- lement le contraire, c’est-à-dire que tous étaient libres et égaux et fort jaloux de leur droit d’égalité. Sans cela on ne peut concevoir le soin méticuleux que l’on apportait au par- tage des champs communs, soin qui n’existe pas là où les villages sont établis par des maîtres.

4. Éléments aristocratiques.

Certes, il y a eu partout, en même temps, de forts éléments aristocratiques. Ce fait a été déjà une conséquence de la guerre, qui implique toujours le commandement et la subordination, au lieu de rendre tous les hommes égaux, comme voudrait l’affirmer par exemple, M. Sars, de Christiania. Le chef militaire a toujours ses compagnons, Gasin- deschaft, des amici et des hommes moins étroi- tement liés à sa personne, sinon des étrangers,


RURALES (