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propagande par le fait est une déilucliop. lo- gique du système  : l’individu aflirme ainsi sa souveraineté, sa rébellion sans bornes. L’exemple des Mazzini, des Oisini, des Gaii- baldi prouve que quelques liommes, par des actes splendides d’audace, peuvent bàler Té- mancipalion de tout un peuple. 11 y a du hcro-u’orship, du féliobisnie des grands liom- mes, dans l’anarcbisine  ; et pourtant, quoi de plus contraire au principe démocratique ? Les faits éclatants de quel({ues martyrs, en apparence sans but et sar)s plan, en même temps qu’ils terrorisent la société bourgeoise, e.xcitenl l’atlenliuii des foules, les font ré- fléchir sur leur misère et finiront par secouer leur torpeur, mieux qu’un discours, qu’une brochure, la bombe de Vaillant, ses der- nières paroles au pied de l’échafaud  : (( Mort à la société bourgeoise! » retentissent jus- qu’au moindre village. « Mon intention, dt- dare Ravachol, a été de terrosiser, pour for- cer lu société à jeter un regard sur ceux qui soutirent. »

Remarquez ici comme la révolution, sur sa pente, doit toujours rouler plus bas. Com- parés aux héros les plus récents de .la secte, les BaUounine, les Kropotkine, les Elisée Reclus apparaissent presque comme des réac- tionnaires. Marx, dans la pr’éface de son livre, proclame qu’il n’en veut qu’au capital, non aux capitalistes. Bakounine est hostile à l’as- sassinat. Il a peu de sympathie pour les blan- quistes. Il regrette que le peuple, quand il se soulèvera, tue ses oppresseurs. Kropotkine va plus loin, il comprend « les représailles du peuple », et veut qu’on s’abstienne de les juger. D’autres prêchent la vengeance sous toutes ses formes. Le congrès anarchiste in- ternational de Londres (juillet 1881) déclare légitime tout moyen d’anéantir les représen- tants de Tordre actuel : souverains, ministres, prêtres, policiers, capitalistes, tous les exploi- teurs, sans égard pour les personnes. Quelques- uns reconnaissent qu’il y a de bons patrons et de bons riches  : « Eh bien ! disait le com- pagnon Tennevin, quelque épouvantable que cela vous paraisse, le bon riche et le bon patron sont plus nuisibles que les mauvais, fi c’est ceux-là que nous fusillerons les pre- miers. En effet, le mauvais riche sème la haine autour de lui, tandis que le boa sert aux naïfs à excuser la richesse et le patronat ’. » Enfin les plus féroces ne reculent pas devant l’assassinat des prolétaires innocents, comme l’ont montré les derniers attentats : «Vis-à-vis de la morale pure, écrit la lieiue anarchiste, ne sont innocents que les êtres ou les choses dont l’existence ne nuit en rien au dévelop- pement harmonique d’une race ou d’une es- pèce. » Or les prolétaires résignés sont des


êtres nuisibles. Ils laissent aller les choses par indifîérence, par paresse, et donnent à ceux qu’ils oppriment l’appui moral de leur résignation. On les tuera pour sauvegarder les autres. Le fais ce que voudras aboutit lo- gi(iuement au fais ce que je veux, sous peine (le mort. Il est vrai qu’en présence des der- niers attentats, des dissentiments semblent s’être produits dans le camp arrarchiste sur le choix des victimes. Le moniteur doctri- naire de l’anarchie, la Récolte, rédigée sous l’inspiration de Kropotkine et d’Elisée Iteclus, en tète du numéro du 24 février 1894, désap- prouve cette façon d’agir  : « Ainsi que nous l’avions prévu, une série d’explosions se dé- roule, à l’effet de terroriser la population et de donner le change sur les véritables pro- cédés des anarchistes. Il faut qu’il soit bien entendu ceci  : toutes les fois qu’une explo- sion ne visera ni l’autorité, ni la richesse, ni l’exploitation patronale, on peut hardiment la mettre au compte des individus qui ont intérêt à nous décrier, à nous mettre au ban de l’hu- nianilé. On sait de quels gredins nous vou- lons parler. » Mais voilà une protestation bien tardive  : les bombes ne choisissent pas. Ce n’est pas d’ailleurs aux bourgeois seule- ment que les anarchistes se proposent d’appli- quer « quelques petites marmites »  ; leur but est aussi de détruire ce socialisme qui serait plus dangereux encore que toutes les orga- nisations autoritaires dont nous avons souf- fert jusqu’à cejour».(Ré(.o/(e du 4 avril 1893.) Que les compagnons s’arment donc au plus vite et que la guerre sans merci commence. Qu’il s’accomplisse par hypocrisie, fraude, vol ou meurtre, tout crime est vertu. Il n’est pas de bandit ou de simple voleur que le parti n’en- rôle parmi les siens. L’escroquerie ordinaire ou vol à l’étalage, qu’ils appellent la reprise, est un moyen de propagande, de même l’es- tampage, que pratique la ligue anarchiste des antipropriétaircs, et qui consiste à déménager- (> à la cloche de bois >- ou à prendre des repas sans payer. Les antipatriotes prêchent l’insou- mission aux lois militaires, l’insubordina- tion, endoctrinent les jeunes conscrits, rôdent autour des casernes. Tous préconisent, non plus l’insurrection en masse, la barricade, mais la guerre d’homme à homme, l’attentat à domicile. Que chacun se fasse le justicier de ses ennemis personnels ou impersonnels. Ce changement de l’ancienne tactique est dà aux découvertes de la chimie, au perfection- nement des engins de destruction. Le pro- grès de l’outillage et de l’armement servira pour la lutte des classes comme pour celle des peuples. Most, dans son petit manuel  : la Science de la guerre au service de la révolution, parle de l’importance des explosifs mo-


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