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MITISME


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ANTISÉMITISME


presseur fiscal et financier. Pour les pauvres, le juif était cause de l’usure  ; c’était lui qui prenait les gros intérêts causant la misère. Le peuple souffrant ne voyait que cette cause eliiciente de l’usure, le juif, il ne s’inquiétait pas des responsabilités ; il voyait la main du juif s’abattant sur lui, il se ruait sur le juif comme sur les Lombards, comme sur les Caorsins, comme parfois sur les riches. Durant tout le moyen âge le sanglant antisémitisme des pastoureaux, des pay- sans de B’abanl, des pays Rhénans, du menu peuple de l’Allemagne, de la noblesse et de la bourgeoisie ne fut qu’une forme bar- bare et sauvage de la lutte économique. Les nobles étaient offensés par les 7’ichesses des juifs, les prolétaires, les artisans et les paysans étaient irrités par leurs usures  ; quant à la bourgeoisie commerçante et manieuse d’argent, elle se trouvait en con- currence avec les juifs, et au xiv^ et au xv^ siècle, on voit se dessiner la lutte moderne du capital chrétien contre le capital juif.

Cette haine universelle se manifesta par les décisions ecclésiastiques, par les lois civiles, par les coutumes vexatoires, par les écrits si nombreux, si variés, Ihéologiques ou sociaux, dogmatiques ou polémiques, dont nous ne pouvons entreprendre ici le dénombrement, enfin par les expulsions et les massacres. On tue et on brûle les juifs par millions, en Angleterre et en Espagne, en France et en Bohème, en Allemagne et en Italie, en Autriche et en Pologne ; il fallut les lueurs de la Renaissance pour que respirât le peuple d’Israël.

V antisémitisme depuis la Réforme jusqu’à la Révolution française. — Aux débuts du xv° siècle, les juifs n’étaient plus qu’une tribu d’esclaves, ils étaient enfermés dans des ghettos dont eux-mêmes avaient ren- forcé les murailles  ; sous l’influence des peuples ambiants, des législations avilis- santes, sous l’action déprimante de leur reli- gion ritualiste et tamuldique, ils s’étaient dégradés. A la fin du \\^ siècle, le juif était devenu le serf de la chambre impé- riale en Allemagne, en France il était le serf du roi, le serf du seigneur, moins que le serf, car le juif ne pouvait plus posséder, et était une chose plutôt qu’une personne, imposable à merci, subissant les confisca- tions et les ranconnements. Le seul pays dans lequel il pouvait prétendre à la dignité d’homme, l’Espagne, venait de lui être fermé ; partout ailleurs il n’était qu’une bête utile et immonde. Cependant le temps des grandes douleurs était passé pour les juifs, ils rencontrèrent désormais plus d’humanité et de pitié.


Avec la Renaissance, la loi générale dimi- nua, avec elle la haine pour les hérétiques faiblit. Quanta l’Église, d’autres et plus graves préoccupations lui faisaient oublier les juifs, et lorsque Luther eut publié à Wittenberg ses quatre-vingt-quinze thèses, l’orthodoxie ne son- gea plus à ramener à elle les restes d’Israël.

Quant au protestantisme naissant, s’il essaya d’abord d’attirer à lui les juifs, si après de vaines tentatives Luther publia de terribles pamphets contre les juifs, ils ne furent pas maltraités en Allemagne, du moins spécialement. Les sectes réformées avaient fort à faire à se disputer entre elles ; quant aux paysans du xv^ siècle, ils ne s’en prirent plus seulement aux juifs prêteurs d’argent et aux chrétiens usuriers. Les soldats de Joss Fritz et ceux de Munzer s’attaquèrent à tous les riches, et, dans le formidable mouvement révolutionnaire qui jusqu’en 1o3j agita une partie de l’Europe, les Israélites furent négligés.

De même en fut-il dans les pays catholi- ques. Là, les juifs avaient cessé d’être les principaux ennemis de l’Église, ce n’était plus eux qu’on redoutait, mais les protes- tants. Cependant, pendant la réaction dogma- tique et théologique qui suivit la Réforme, la papauté toujours bienveillante, jusqu’à un certain point, pour les juifs, changea de con- duite et Paul IV et Pie V publièrent des cons- titutions restrictives.

Quant aux souverains, aux empereurs et aux rois, ils dédaignent les juifs ; depuis le xvi« siècle on cesse, ou à peu pi’és, de légi- férer contre eux. L’antisémitisme consista dès lors en avanies, en vexations, en insul- tes. Chez les savants et les érudits, l’anti- sémitisme redevint dogmatique et théori- que, mais ils y mirent plus de douceur.

Au xvu^ siècle les juifs jouissaient, dans toute l’Europe de la plus grande tranquillité  ; de jour en jour une plus grande tolérance se manifestait à leur égard. Le monde se rapprochait d’eux. Parmi les juifs une partie, minime, il est vrai, mais très active, s’effor- çait à abolir les vieux préjugés particu- laristes de leur peuple, et comme la philo- sophie humanitaire et libertaire gagnait les esprits, comme, étant donné le développe- ment du capitalisme industriel, commercial et financier, les objections économiques contre les juifs n’avaient plus la même valeur qu’au moyen âge, leur émancipation était toute préparée lorsqu’elle fut votée par l’Assemblée constituante le 27 septembre 1791.

2. L’antisémitisme modei’ne.

Le décret de 1701 libéra tous les juifs ; mais s’il put les rendre ainsi à la liberté, s’il lui


ANTISEMITISME —  :