Page:Scènes de la vie privée et publique des animaux, tome 1.djvu/183

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
103
D’UNE CHATTE ANGLAISE.

Néanmoins, j’éveillai milord et lui fis comprendre qu’il était fort tard, que nous devions rentrer. Je n’eus pas l’air d’avoir écouté cette déclaration, et fus d’une apparente insensibilité qui pétrifia Brisquet. Il resta là, d’autant plus surpris qu’il se croyait très-beau. Je sus plus tard qu’il séduisait toutes les Chattes de bonne volonté. Je l’examinai du coin de l’œil : il s’en allait par petits bonds, revenait en franchissant la largeur de la rue, et s’en retournait de même, comme un Chat français au désespoir : un véritable Anglais aurait mis de la décence dans ses sentiments, et ne les aurait pas laissé voir ainsi. Quelques jours après, nous nous trouvâmes, milord et moi, dans la magnifique maison du vieux pair, je sortis alors en voiture pour me promener à Hyde-Park. Nous ne mangions que des os de poulets, des arêtes de poissons, des crèmes, du lait, du chocolat. Quelque échauffant que fût ce régime, mon prétendu mari Puff demeurait grave. Sa respectability s’étendait jusqu’à moi. Généralement, il dormait dès sept heures du soir, à la table de whist sur les genoux de Sa Grâce. Mon âme était donc sans aucune satisfaction, et je languissais. Cette situation de mon intérieur se combina fatalement avec une petite affection dans les entrailles que me causa le jus de Hareng pur (le vin de Porto des Chats anglais) dont Puff faisait usage, et qui me rendit comme folle. Ma maîtresse fit venir un médecin, qui sortait d’Édimbourg après avoir étudié longtemps à Paris. Il promit à ma maîtresse de me guérir le