III
De la République Lupienne.
Ô Moineaux de Paris, Oiseaux du monde, Animaux du globe, et vous, sublimes carcasses antédiluviennes, l’admiration vous saisirait tous, si, comme moi, vous aviez été visiter la noble république lupienne, la seule où l’on dompte la Faim ! Voilà qui élève l’âme d’un Animal ! Quand j’arrivai dans les magnifiques steppes qui s’étendent de l’Ukraine à la Tartarie, il faisait déjà froid, et je compris que le bonheur donné par la liberté pouvait seul faire habiter un tel pays. J’aperçus un Loup en sentinelle.
— Loup, lui dis-je, j’ai froid et vais mourir : ce serait une perte pour votre gloire, car je suis amené par mon admiration pour votre gouvernement, que je viens étudier pour en propager les principes parmi les Bêtes.
— Mets-toi sur moi, me dit le Loup.
— Mais tu me mangerais, citoyen ?
— À quoi cela m’avancerait-il ? répondit le Loup. Que je te mange ou ne te mange pas, je n’en aurai pas moins faim. Un Moineau pour un Loup, ce n’est pas même une seule graine de lin pour toi.
J’eus peur, mais je me risquai, en vrai philosophe. Ce bon Loup me laissa prendre position sur sa queue, et me regarda d’un œil affamé sans me toucher.