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LE PREMIER FEUILLETON

Épagneul, plein de joie, plein d’amour, au regard enchanté, qui ne vivait que pour être un brave Chien, libre de tout préjugé. Il avait en horreur les crimes des partis, les fureurs de l’amour-propre, les divisions intestines du peuple dramatique. Il était né, non pas pour critiquer toutes choses, mais pour jouir de toutes choses. Rien ne lui déplaisait comme de rechercher les faux jappements dans un concert, les fausses notes dans une voix de son espèce, les fausses couleurs dans le plumage, les faux bonds dans le Cerf qui s’enfuit à travers le bois. Il trouvait beau tout ce qui était la vie, le mouvement, le monde extérieur. Il aimait les Animaux en frères, parce qu’il était leur égal en force, en bonté, en beauté, en courage. Il aimait les Hommes tels qu’ils étaient, parce qu’il n’en avait jamais reçu que bon accueil, bons petits soins, bons offices et croquignoles. Malheureusement le sort l’avait fait le Chien d’un Homme de lettres, et, malgré lui, le pauvre Animal, il avait vu de très-près tous les trésors de cette vie exceptionnelle qui parait si brillante à ceux qui la voient de loin. Ajoutez à ces tristesses de chaque jour les découragements ordinaires aux jeunes amours, les trahisons des ingénues dramatiques auxquelles Pistolet offrait ses hommages, et vous comprendrez comment il s’abandonna peu à peu à la mélancolie funeste qui vient de le précipiter dans la tombe. — Pistolet est mort d’ennui comme sont morts les plus grands poëtes. Il est mort en disant, lui aussi :