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SOUVENIRS

mon arrivée par un très-vieux Corbeau, que je reconnus tout d’abord pour un de mes compatriotes, à son accent qu’un véritable Alsacien ne perd jamais.

Puisque l’occasion s’en présente, je ne suis pas fâchée d’avoir à dire quelques mots de ce personnage.

« Écrivez de ce personnage tout ce que vous voudrez, » me dit en m’interrompant pour la seconde fois le malencontreux conseiller que j’ai déjà cité au commencement de ce récit, et qui s’étant, depuis ma réponse, tenu derrière moi sans mot dire, lisait sans façon par-dessus mon aile, à mesure que j’écrivais. « Ne vous gênez pas ; son tour est venu, vengez-vous. »

— Avez-vous déjà peur ? lui dis-je, attendez donc, et en attendant, taisez-vous.

Pourquoi ne le dirais-je pas ? Dans ce vieillard, je retrouvai un ancien ami d’enfance ; il y avait bientôt un siècle que nous ne nous étions pas vu.

Ce qui nous avait séparés, c’est qu’il avait été fou de tout dans sa jeunesse, de tout, et de moi un peu, s’il m’est permis de le dire. Or, mon cœur n’étant déjà plus libre (j’étais à la veille de me marier), il avait quitté le pays, désespéré, jurant et criant qu’il en mourrait. Il n’en était pas mort, on le voit. Que mes lectrices veuillent bien faire comme moi, qu’elle lui pardonnent d’avoir survécu.

— Quoi ! me dit-il en m’abordant avec une émotion qui me toucha plus qu’il ne m’aurait convenu de le laisser voir, ne daignerez-vous pas reconnaître votre ancien