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HISTOIRE

avait appliqué quelques compresses de feuilles de dictame qu’une Biche compatissante lui avait procurées, était entourée d’un bandeau qui lui cachait un œil : le sang coulait encore.

À ce triste spectacle je reconnus les Hommes et leurs funeste coup.

« Ma chère Pie, me dit le vieillard, dont le visage, empreint d’un caractère de tristesse et de gravité inaccoutumée, n’avait cependant rien perdu de son originelle simplicité, on ne vient pas au monde pour être heureux.

— Hélas ! lui répondis-je, cela se voit bien.

— Je sais, continua-t-il, qu’on doit toujours avoir peur et qu’un Lièvre n’est jamais sûr de mourir tranquillement dans son gîte ; mais, vous le voyez, je puis moins qu’un autre compter sur ce qu’on est convenu d’appeler une belle mort : la campagne s’annonce mal, me voilà borgne peut-être, et pour sûr estropié ; un Épagneul viendrait à bout de moi. Ceux des nôtres qui voient tout en beau, et qui s’entêtent à penser que la chasse ferme quelquefois, veulent bien convenir qu’elle ouvrira dans quinze jours ; je crois que je ferai bien de mettre en ordre mes affaires et de léguer mon histoire à la postérité pour qu’elle en profite, si elle peut. À quelque chose malheur doit être bon. Si Dieu m’a accordé la grâce de retrouver ma patrie, après m’avoir fait vivre et souffrir parmi les Hommes, c’est qu’il a voulu que mes infortunes servissent d’enseignement aux Lièvres à venir. Dans le monde on se tait sur