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Page:Scarron-oeuvres Tome 6-1786.djvu/128

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Mais, Madame, il me semble, et sous correction,

Que votre bel esprit manque d'invention.

Dites-moi, donc, Madame, un peu de jalousie

N'a-t-il jamais un peu troublé sa fantaisie ? [700]

Léonore

Tu crois que je voudrais lui donner un rival.

Béatrix

Ne l'avez-vous pas fait ?

Léonore

Jamais.

Béatrix

Voilà le mal.

Je l'aimerais lui seul ; mais en ligne indirecte

J'aurais d'autres galants pour me rendre suspecte.

Et quand le beau Narcisse en ferait le cruel, [705]

Il ne manquerait pas de matière à duel.

Je verrais les doux yeux ; et dessus sa moustache

À quelque fanfaron ; c'est là trouver la cache,

C'est le meilleur secret de mettre à la raison,

Un amant, qui d'amour se croit le vrai tison. [710]

Ma foi, de fermeté la sotte qui se pique,

Fait un sauvage amant, d'un amant domestique.

Il ne faut point saouler un amant affamé,

Qui toujours aime peu, quand il est trop aimé.

C'est de cette façon que Béatris en use, [715]

Aussi suis-je en amour un aigle.

Léonore

Et moi donc ?

Béatrix

Buse.

Léonore

Que tes discours auraient mon esprit diverti,

Si par ma passion il n'était perverti.

Il ne viendra jamais.

Béatrix

Il viendra sur mon âme :

Qu'ainsi ne soit j'entends du bruit, allez, Madame, [720]

Allez vous retirer dans votre appartement ;

Je m'en vais au-devant du fugitif amant.