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Page:Scarron-oeuvres Tome 6-1786.djvu/304

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JODELET, en chaussons et prêt à se battre

Oui, tout homme vaillant doit être pitoyable ; [1355]

Et j'ai pitié de toi, souffleteur misérable,

Puisque pour le soufflet que tu m'as appliqué,

Tu dois être de moi mortellement piqué,

C'est la première fois qu'il m'avait que je sache,

L'impertinent qu'il est donné sur la moustache ? [1360]

De la façon pourtant qu'il s'en est acquitté,

Je le tiens en cela très expérimenté.

Je crois que de sa vie il n'a fait autre chose,

Et nonobstant les maux que telle action cause,

Tout pauvre que je suis, je lui donnerais bien, [1365]

Pour souffleter ainsi, la moitié de mon bien.

Mais n'est-ce pas à l'homme une grande sottise

De s'aller battre armé de la seule chemise,

Si tant d'endroits en nous peuvent être percés ?

Par où l'on peut aller parmi les Trépassés ? [1370]

Le moindre coup au coeur, est une sûre voie

Pour aller chez les Morts ; il est ainsi du Foie :

Le Rognon n'est pas sain, quand il est entrouvert,

Le Poumon n'agit point, quand il est découvert ;

Un artère coupé, Dieux ! Ce penser me tue, [1375]

J'aimerais bien autant boire de la Ciguë ;

Un oeil crevé, mon Dieu ! Que viens-je faire ici ?

Que je suis un franc sot, de m'hasarder ainsi !

Je n'aime point la mort parce qu'elle est camuse ;

Et que sans regarder qui la veut ou refuse, [1380]

L'indiscrète qu'elle est, grippe, voûsit ou non,

Pauvre, riche, poltron, vaillant, mauvais et bon.

Mais je suis trop avant pour reculer arrière ;

C'est à faire en tout cas à rendre la Rapière,

Doncque bien loin de moi la peur et ses glaçons, [1385]

Je veux être de ceux qu'on dit mauvais garçons.

Mon cartel est reçu, je n'en fais point de doute,

Mon homme ne vient point, peut-être il me redoute.