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Page:Scarron-oeuvres Tome 6-1786.djvu/421

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Sans témoins je l’ai prise, et le mieux que j’ai pu,
Seule en ai rassemblé chaque morceau rompu ;
Non que de mon humeur je sois fort curieuse ;
Mais je l’aime, Marine, et mon ame amoureuse
Eût lors tout entrepris pour découvrir au vrai
Pour qui mon cœur faisoit son premier coup d’essai :
Ma curiosité m’apprit à mon dommage,
Qu’un homme tel que lui n’est pas pour le village :
Je vis qu’il s’appeloit dom Alfonse Enriquez.
Je vis de plus, Marine, en termes fort exprès,
Qu’il va se marier richement à Séville,
Où l’attend un parti de la même famille ;
Sa mére lui mandoit (car c’étoit de sa part
Que la lettre venoit) que depuis son départ
On n’avoit eu de lui ni lettres ni nouvelles,
Et qu’elle s’en trouvoit en des peines mortelles.
Tu peux juger par-là de l’état où je suis :
À chasser mon amour je fais ce que je puis ;
Et tant plus à chasser cet amour je m’efforce,
Tant plus dedans mon cœur il prend nouvelle force ;
Mais quelque fort qu’il soit, il céde à ma raison,
Qui doute qu’un jeune homme, et de bonne maison,
Puisse être épris pour moi d’un amour légitime.
Je l’aime, mais non pas assez pour faire un crime,
Et bien que je sois foible à régler mes desirs,
Je ne le veux pas être à choisir mes plaisirs :
Il est vrai que j’abhorre un homme de village,
Et ne puis deviner d’où me vient ce courage.

marine.

Vous êtes en danger d’être fille long-tems.

léonore.

Il est peu de maris qui ne soient dégoûtans.

marine.

Et que deviendra donc le fils du vieux Ramire ?

léonore.

Qu’il meure.

marine.

                   Et l’écolier ?

léonore.

                                       Qu’il pleure et qu’il soupire,