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Page:Scarron-oeuvres Tome 6-1786.djvu/493

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M'ait tiré de vos fers, et dispensé mon âme

De conserver encor pour vous la moindre flamme,

Par la seule pitié que me fait votre sort,

Je me veux exposer pour vous jusqu'à la mort. [50]

LÉONORE.

Cette compassion Dom Carlos est tardive ;

Si tu ne m'aimes plus, qu'importe que je vive ?

Mais Carlos si ton coeur si dur à l'amitié,

Est comme tu le dis sensible à la pitié,

Ou capable du moins d'un peu de complaisance [55]

Puisque depuis Madrid je garde le silence,

Et que quand je te parle au lieu de m'écouter,

Ta colère te porte à me vouloir quitter :

Puisque mon sort cruel qui te rend si barbare

Pour la dernière fois peut-être nous sépare, [60]

Daigne prêter l'oreille à mes derniers discours,

Quand tu n'en croirais rien comme tu fais toujours,

Quand ta haine serait encore plus mortelle,

Quand autant que tu dis je serais infidèle,

Peux-tu n'accepter pas cette condition ? [65]

DOM-CARLOS.

Hé bien ! Je vous écoute avec attention.

LÉONORE.

Tu m'aimas, Dom Carlos, qu'ai-je dit insensée ?

Mon indiscrète langue a trahi ma pensée,

Et j'ai mal commencé par une fausseté,

Un discours qui sera la même vérité ; [70]

Tu feignais donc d'aimer, et je crus être aimée,

Je crus que je régnais dans ton âme charmée ;

Mais tu ne fus jamais d'amour bien enflammé,

Qui peut cesser d'aimer n'a jamais bien aimé.

Tu sais bien si mon coeur fut facile à surprendre ; [75]

Combien il combattit devant que de se rendre,

Et de quelle rigueur je traitai les valets,

Qui s'osèrent charger de tes premiers poulets.

Enfin à m'attaquer telle fut ta constance ;

Si faible fut la mienne à faire résistance, [80]

Que tu vis tes désirs sur les miens absolus ;

Tu me persuadas tout ce que tu voulus ;

Tes lettres que j'avais constamment refusées,

Tandis qu'à mon devoir je les crus opposées ;