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Page:Scarron-oeuvres Tome 6-1786.djvu/499

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J'ai songé qu'il faudra que vous portiez vous-même

Un billet que j'aurai d'une Dame que j'aime.

Ce billet ne sera que pour dire à ma soeur,

Que vous êtes adroite, et fort fille d'honneur.

Qu'elle répond de vous, et qu'en cette occurrence, [250]

Elle prétend lui faire un présent d'importance.

Votre condition ainsi se cache mieux

À l'esprit des valets toujours trop curieux.

Je m'en vais de ce pas la supplier d'écrire,

Et ce billet écrit je reviens vous le lire. [255]

               Il sort. 

LÉONORE.

Dom Carlos ! Ton esprit sera bientôt en paix

Puisqu'on va m'éloigner de tes yeux pour jamais ;

Mais cruel, si le temps qui change toutes choses,

Change jamais en bien, le mal que tu me causes ;

Si je te puis jamais faire voir que la foi, [260]

Que je t'avais donnée est toute encore à toi,

Et que je n'avais pas seulement de l'estime,

Pour celui que tu crois complice de mon crime,

Ne me tiendras-tu pas ce que tu m'as promis ?

On tient ce qu'on promet même à ses ennemis. [265]

DOM-CARLOS.

Que mon coeur ne peut-il oublier une offense ;

Avoir mes yeux suspects ; croire votre innocence ?

Mais ingrate beauté, ne fut-ce pas chez vous,

Que mon bras fit tomber un rival sous mes coups ?

Ha ! Ne souhaitons plus de la voir innocente ; [270]

Éloignons, éloignons une fille inconstante.

Hélas ! En même temps je l'aime et je la hais.

Qui de ces passions l'emporte je ne sais ;

Mais je sais seulement qu'une douleur extrême

S'empare de mon coeur, quand il hait ou qu'il aime, [275]

Et que les mouvements de ce trouble intestin

Seront les derniers coups de mon cruel destin.

LÉONORE.

Ha ! Si je n'avais pas encor quelque espérance,

Que le Ciel tôt ou tard protège l'innocence ;

Tu n'aurais pas longtemps à me haïr ? [280]

DOM-CARLOS.

Ma résolution commence à me trahir ;

Si j'écoute longtemps cette fille infidèle,

Mon âme malgré moi me parlera pour elle,