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Page:Scarron-oeuvres Tome 6-1786.djvu/533

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Et m'a si fort paru de ses ennuis troublée,

Et si sourde aux discours qui l'auraient consolée,

Qu'en son esprit qu'accable un chagrin triste, et noir,

Je crains les accidents d'un cruel désespoir.

De peur qu'elle ne soit à soi-même cruelle, [990]

Et ma Soeur, et Marine auront les yeux sur elle :

Et vous, puisque son mal vient de votre rigueur,

Traitez-la désormais avec plus de douceur.

DOM-CARLOS.

Vous vous étonnerez de ce qu'aimant encore,

Autant qu'on peut aimer l'ingrate Léonore, [995]

Par un effet d'amour qui n'eut jamais d'égal,

Je veuille la céder à mon heureux rival.

Céder à son rival ainsi ce que l'on aime,

C'est bien ce qu'on appelle aimer plus que soi-même,

C'est bien l'effort plus grand que puisse faire un coeur, [1000]

Que perdre son repos pour sauver son honneur.

DOM-LOUIS.

Mon coeur, comme le vôtre à l'amour tributaire,

Croit un homme amoureux capable de tout faire,

Mais je ne comprends pas, qu'étant bien amoureux,

On veuille à ses dépens rendre un rival heureux. [1005]

DOM-CARLOS.

C'est pourtant le dessein que j'ai pour l'infidèle ;

C'est le dernier effort que je ferai pour elle,

Et par cette action l'imprudente apprendra,

Quel amant elle perd quand elle me perdra.

Il faut que ce rival, par un prompt Hyménée, [1010]

Rétablisse l'honneur de cette infortunée ;

Pour peu qu'il le refuse, il n'est rien ici-bas

Capable de le mettre à couvert de mon bras.

Je veux, soit que l'on s'aime, ou que l'on se haïsse,

Qu'avant la fin du jour, cet Hymen s'accomplisse. [1015]

Hélas ! Si je pouvais brûler d'un autre feu !

Je la perdrais sans peine, ou j'en souffrirais peu ;

Mais je perds tout en elle, et lorsque je la cède,

D'un mal douteux encor ; j'en fais un sans remède.

DOM-LOUIS.

Ce généreux dessein que votre amour a pris, [1020]

M'a donné de la joie, et ne m'a pas surpris.

{{personnage|DOM-