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Page:Scarron-oeuvres Tome 6-1786.djvu/559

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Je vis ta Léonore, et cette fille aimable, [1595]

En beauté sans pareille, en esprit adorable,

Dès le même moment, du moins le même jour,

Que je brûlai pour elle, eut pour moi de l'amour.

Quand entre deux amants l'amour est partagée,

Elle n'est pas longtemps sans être soulagée. [1600]

Mais ce n'est pas assez dans l'Empire amoureux,

D'aimer, et d'être aimé pour être bien heureux.

On voit de mille amants les espérances vaines

Flatter jusqu'à la mort leurs mutuelles peines,

Et l'on voit mille amants se croyant près du port, [1605]

Y trouver la tempête, et maudire leur sort

Dans le temps que ta fille en son amour fidèle

Me croyait plus donner des marques de son zèle

Mes yeux furent trompés d'une jalouse erreur.

Autant que je l'aimais, elle me fit horreur. [1610]

Mais pour ne l'aimer plus, pour la croire infidèle

Je ne m'offris pas moins à tout faire pour elle :

Je la mis à couvert de ton juste courroux,

Et je voulais aussi lui trouver un Époux ;

Ainsi tu m'eusses dû l'honneur de Léonore. [1615]

Vois par là si ta haine est légitime encore,

Et songe que mon sang peut sur toi rejaillir :

L'amour peut m'excuser comme il m'a fait faillir.

Calme donc les transports d'une juste colère ;

Prends pitié de ta fille, et lui rends un bon père. [1620]

DOM-PEDRE.

Puisqu'elle est sans honneur elle ne m'est plus rien.

DOM-CARLOS.

Si je suis son époux, mon honneur est le sien.

DOM-PEDRE.

Vous me rendez l'honneur, le repos, et la joie.

DOM-LOUIS.

Mais de tous vos soupçons que voulez-vous qu'on croie ?

DOM-CARLOS.

Que j'aime Léonore, et que de mon erreur [1625]

Son innocence enfin triomphe dans mon coeur.

LÉONORE.