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Page:Scarron-oeuvres Tome 6-1786.djvu/600

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Madame, & que voulez-vous faire?

ELISE.

   Amintas contre moy proteger le Corsaire?
   Amintas m'épier?

OROSMANE.

                    Ma Princesse, est-ce vous?
   Et puis-je donc encore embrasser vos genoux?

ELISE.

   Où suis-je? ô Dieux! que voy-je? & que viens-je d'entendre?
   Dois-je croire à mes yeux? est-ce une ombre? est-ce Alcandre?

OROSMANE.

   Oüy, Princesse, je suis cét Amant trop heureux,
   Si dans les longs malheurs d'un exil rigoureux,
   La seule Deïté de mon coeur adorée,
   M'a conservé la foy qu'elle m'avoit jurée:
   Mais je suis des Amans le plus infortuné,
   Si je n'ay plus un coeur que vous m'avez donné.

ELISE.

   Helas! ce qu'à l'instant pour vanger mon Alcandre,
   Mon bras contre luy-méme étoit prest d'entreprendre,
   M'empesche de douter, que ma fidelité
   Ne soit tousiours pour toy ce qu'elle avoit esté.
   Dieux! si dans la fureur dont j'estois prevenuë,
   Vostre puissante main ne m'avoit retenuë.
   Si la mienne eut donné par un barbare effort,
   A tout ce qui m'est cher, une sanglante mort,
   En quel abysme affreux te serois-tu jettée,
   Amante trop credule, & trop précipitée?
   Et quel crime une erreur maistresse de nos sens,
   Ne peut faire commettre aux feux plus innocens?

OROSMANE.

   Si vous m'aymez encore, ô divine Princesse!
   De tous ces longs malheurs qui me suivoient sans cesse,
   Je ne conserve pas le moindre souvenir,
   Je perds mesme la peur de tous maux avenir,
   Et puis qu'enfin le Ciel permet que je vous voye,
   Je ne m'en plaindray plus quelque mal qu'il