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Page:Scarron-oeuvres Tome 6-1786.djvu/612

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soufferts,

   Pour peu qu'en ses malheurs vous preniez part encore,
   Verra mourir pour luy la beauté qu'il adore?
   O Dieux! ce seul penser dans l'esprit d'un Amant,
   Est son plus veritable, et plus cruel tourment.
   Songez, songez, Princesse à mes maux trop sensible,
   Que vostre mort rendroit la mienne plus horrible,
   Et songez que mourant & pour vous, & sans vous,
   Le plus cruel trépas me peut devenir doux.
   Et qui sçait si le Ciel sur ma funeste vie,
   N'a pas toute son ire, & sa rage assouvie,
   Et qu'ayant sur ma teste épuisé ses rigueurs,
   Il n'ait gardé pour vous ses plus rares faveurs:
   Vos celestes beautez par les Dieux achevées,
   A de meilleurs Destins sont par eux reservées,
   Et s'ils ont le pouvoir d'exempter du Tombeau,
   Qui seroit-ce, que vous, leur ouvrage plus beau;
   Vivez, vivez heureuse, & qu'un Prince fidelle,
   Avec plus de merite, & non pas tant de zele,
   Succede en vostre coeur au malheureux Amant,
   Qui ne vous fut jamais qu'un sujet de tourment,
   Et qui ne peut avoir de fin plus glorieuse,
   Que de perdre pour vous une vie ennuyeuse.

ELISE.

   Et moy pourroy-je avoir de plus honteuse fin,
   Que de survivre ingrate, à ton triste Destin?
   Mais comment oses-tu me proposer de vivre;
   Me donner des conseils que tu ne veux pas suivre;
   Cesse Prince cruel! cesse de m'attendrir;
   Ne me rends point la mort difficile à souffrir;
   Laisse-moy partager la gloire de la tienne;
   Songe que mes malheurs finiront par la mienne,
   Et songe que l'amour n'en a point de plus grand,
   Que d'aymer, d'estre aymée, & de perdre un Amant.
   Mais où court, & que veut Clarice épouvantée;