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Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/176

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Et nous eussions passé le pas,
Car les vents ne se jouaient pas ;
Mais par bonheur ils se brouillèrent,
Et l’un l’autre querellèrent,
Tellement que ces maîtres fous,
Sans penser davantage à nous,
Mais bien à se faire la guerre,
Nous poussèrent devers la terre.
Tout aussitôt qu’elle parut,
Tout le monde aux rames courut,
Et les voiles furent calées ;
Puis, fendant les ondes salées,
A grands coups de nos avirons,
Nos vaisseaux, autant plats que ronds,
Gagnèrent le prochain rivage,
Chacun priant de bon courage.
Cette île, où le vent nous poussa
Est, depuis quelque temps en çà,
D’un nom grec, Strophade nommée,
En cette mer fort diffamée ;
Car trois monstres, d’enfer sortis,
En ont chassé grands et petits,
Depuis que, chez le roi Phinée,
Rude chasse leur fut donnée
Par deux Argonautes ailés,
Adroits en pareils démêlés.
Ce sont les maudites Harpyes,
Aussi larronnesses que pies,
Dont l’aînée a nom Célénon,
Un vrai visage de guenon :
Ses deux sœurs sont autres guenuches,
Toutes trois estomacs d’autruches,
Et qui n’ont pas plutôt mangé
Que leur appétit enragé,
Tout autre que la faim canine,
Leur livre une guerre intestine.
Elles ont toutes le museau
De la femme d’un damoiseau,
C’est-à-dire une damoiselle ;
Chacune au dos sa paire d’aile,