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Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/191

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Ou vous pendre par désespoir ;
Car vraiment il ferait beau voir
En un gibet le fils d’Anchise
Avec une sale chemise :
Certes quand blanche elle serait,
Sans doute elle vous messiérait,
Et quand on est là pour une heure,
Toute sa vie on y demeure.
Quand donc vous aurez bien pleuré,
Et serez bien désespéré,
Ne jetez pas, mon cher Enée,
La manche après votre cognée.
Vos travaux sont là limités ;
Et qu’ainsi ne soit, écoutez :
Quand sur les bords d’un petit fleuve,
Qui la terre italique abreuve,
Dont bien bourbeuses sont les eaux,
Vous trouverez trente pourceaux,
Allaités d’une seule mère,
Bénissez bien monsieur leur père,
Qui sut faire tant de cochons ;
Regardez s’ils sont blancs et blonds,
Comme leur mère est blanche et blonde ;
Car alors, en dépit du monde
Et de tous les chiens d’envieux
Que vous avez dedans les Cieux,
C’est là que contre votre attente,
Et vous, et votre troupe errante,
Guère moins que la nef Argo,
Vivrez un long temps à gogo.
Et quant à manger votre assiette,
Que cela ne vous inquiète,
Puisque vous la digérerez,
Alors que vous la mangerez ;
Et, quand elle serait plus dure,
Le Destin, qui de vous a cure,
Comme Apollon porte-laurier,
Vous tireront de ce bourbier.
Au reste, le long de la côte
N’allez pas compter sans votre hôte,