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Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/262

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Tandis qu’Aeneas enfila
Le discours civil que voilà,
Didon, de raison dépourvue,
Ne jeta point sur lui la vue.
Les yeux fichés sur le pavé,
Le visage de pleurs lavé,
En son esprit bourru la rage
Faisait un étrange ravage.
Enfin ses yeux elle darda
Sur Enée, et le regarda
Depuis les pieds jusqu’à la tête,
Furieuse comme tempête,
Et puis lui dit ces mêmes mots :
"O le plus vil des animaux,
Le plus dur et le plus sauvage,
Et qui fais tant de l’homme sage,
Tu n’es qu’un sot, tu n’es qu’un fat,
Tu n’es qu’un larron comme un rat,
Un coureur de franches lippées,
Et tes suivants, traîneurs d’épées,
Qui ne valent pas mieux que toi,
Ne seraient pas vivants sans moi.
Tu te dis fils de Cythérée :
La chose n’en est assurée
Qu’en tant que grand fils de putain ;
Mais je sais bien pour le certain
Que ni Cythérée est ta mère,
Ni feu Dardanus ton grand-père,
Et que toi, qui fais tant du coq,
Ne fus jamais que fils d’un roc,
Et qu’une montagne est ta mère ;
Que de telle mère et tel père
Il ne peut sortir qu’un caillou.
Non, je me trompe, c’est un loup
Qui t’engendra d’une panthère ;
Aucuns disent une vipère
Qui te conçut d’un léopard ;
Les autres disent un lézard,
Qui t’engendra d’une tigresse ;
Autres, un dragon, d’une ânesse ;