Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/28

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Qu’elle n’eût quelque diable au corps.
Tout autre que lui l’eût cru lors ;
Mais il se connaît trop en diable.
Or, comme il est très pitoyable,
Et quand il voit souffrir autrui
Qu’il souffre presque autant que lui,
Ce grand Dieu se mit à sourire :
Il me semble avoir ouï dire
Que, quand il rit, tout en va mieux
Sur mer, sur terre et dans les cieux.
Ce Dieu donc des Dieux le plus sage,
Se radoucissant le visage,
Et la prenant sous le menton,
Lui dit : "Bon Dieu, que dirait-on,
Si l’on vous voyait ainsi faire ?
N’avez-vous point honte de braire
Ainsi que la femme d’un veau ?
Ah ! vraiment, cela n’est pas beau.
Ne pleurez plus, la Cythérée,
Et tenez pour chose assurée
Tout ce qu’a prédit le Destin
D’Enée et du pays latin.
Vous le verrez bâtir muraille
De brique et de pierre de taille,
Et faire une Lavinium
Qui vaudra bien son Ilium,
Et peut-être sera plus belle ;
Puis vous le verrez sans échelle
Un beau matin monter aux cieux
Pour être un de nos demi-dieux.
Mais sachez, s’il vous faut tout dire,
Que pour établir son empire,
Il aura bien à dégainer,
Et bien des combats à donner
Contre un peuple fier et barbare,
Et qui frappe sans dire gare ;
Mais si bien il escrimera
Que de tout à bout il viendra,
Et de farouches comme bêtes,
En fera des gens fort honnêtes,