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Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/287

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Et qu’elle eut semé ses joyaux
Sur fleurs, arbres, herbes, roseaux,
La Didon, que l’amour réveille,
Et lui met la puce à l’oreille,
Se jette en bas de son grabat.
Voyant que le point du jour bat
Ou plutôt blanchit sa fenêtre,
Elle s’y mit pour reconnaître
Ce que faisait son cher ami,
Lors pour elle un diable et demi.
Quand elle vit, la désolée,
La flotte troyenne envolée,
Et dans son port pas un vaisseau,
Mais seulement quantité d’eau,
Elle frappa de sa main close,
Comme s’il en eût été la cause,
Son tant agréable museau,
S’égratigna toute la peau,
Fit cent actions d’une folle,
S’appliqua mainte craquignole,
Pocha ses yeux, mordit ses doigts,
S’arracha le poil plusieurs fois,
Puis, se frappant deux fois la cuisse :
"Il s’en va, dit-elle, le Suisse,
Et pour ne revenir jamais !
Et toi, Jupiter, tu permets
Que je me trouve ainsi moquée,
Dans ma propre ville escroquée,
Et sans pouvoir tirer raison
D’une si noire trahison !
Et personne de mon royaume
Ne se fera pas Jean Guillaume
Pour étrangler à belles mains
Ce larron des plus inhumains !
Çà, qu’on l’attrape, qu’on le grippe ;
Çà, qu’on le châtre, qu’on l’étripe.
Sortez, marchez, courez, volez,
Frappez, tranchez, tuez, brûlez.
Ah ! que dis-tu, femme insensée !
Où diable est ta raison passée ?