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Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/306

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Onc ne fut un convoi plus beau.
Etant arrivés au tombeau,
La douleur sur la face peinte,
Aeneas fit apporter pinte
D’un très excellent vin clairet
Pris au plus prochain cabaret,
Et le répandit sans en boire
(Chose très difficile à croire) ;
Ensuite du sang et du lait
Quatre fois plein un gobelet ;
Sema le lieu de fleurs nouvelles,
Et puis lâcha paroles telles :
"Bonjour, de mon père les os,
Qui prenez ici le repos,
Tandis que moi, pauvre homme triste,
Suivi des malheurs à la piste,
Je cours comme un Bohémien
Et traité comme un pauvre chien.
Si du terme de quelque année
De Madame la Destinée,
Vos jours eussent été prolongés,
Vous nous eussiez vus bien logés
En la région d’Italie
Que l’on nous prône tant jolie,
D’où l’on dit que nos descendants,
Battant les gens malgré leurs dents,
Comme ils voudront feront litière
De la machine ronde entière ;
Mais le Dieu du ciel n’a pas fait
Les choses selon mon souhait :
Sa sainte volonté soit faite ! "
Sur cette piteuse entrefaite,
Un fort grand vilain serpent vint.
Qui fit frayeur à plus de vingt :
Aeneas en eut telle transe
Qu’il n’en fit nulle révérence,
Lui qui les donnait à crédit,
Même pour rien, à ce qu’on dit.
Ce grand serpent, long de deux aunes,
Tout parsemé de taches jaunes,