Aller au contenu

Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/419

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

En voyant la branche dorée
L’humeur fière fut tempérée,
Et rit un peu, qui le croirait ?
Mais pour de l’or qui ne rirait ?
Au rameau d’or il fit hommage,
Fit joindre sa barque au rivage,
Fit sortir quantité d’esprits
Qui déjà leur place avaient pris.
La troupe du bateau chassée
En sortit la tête baissée ;
Ce ne fut pas sans se fâcher
Et sans dire : "Foin du nocher,
D’Aeneas, de celle qu’il mène,
Et leur double fièvre quartaine ! "
Ils avaient fort sali son bac ;
Il en nettoya le tillac,
Et puis reçut en sa nacelle
Enée et la vieille pucelle.
La frêle nacelle gémit
Quand Aeneas les pieds y mit,
Et reçut l’eau par plusieurs fentes
A cause des armes pesantes,
Des deux corps vivants, du rameau,
Poids insupportable au bateau,
Qui n’aime point les âmes lourdes.
Quelqu’un dira : Ce sont des bourdes,
Et les âmes n’ont point de poids !
Telle âme en pèse plus de trois,
Et j’en connais de très pesantes,
Même sans leur poids, malplaisantes,
Et Dieu sait si Caron est sourd
Quand il rencontre un esprit lourd.
Tel esprit lourd, sur ce rivage,
A payé deux fois son passage,
Et, quoiqu’il ait deux fois payé,
N’a laissé d’être rudoyé.
De Caron la rudesse extrême
Devint douce comme la crème.
Il offrit le plus bel endroit
Au Troyen dans l’esquif étroit.