Aller au contenu

Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/445

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Ce ne sont pas des âmes neuves,
Mais des âmes d’autres corps veuves,
Qui sur terre retourneront
Et d’autres corps habiteront
Parmi ces personnes en herbe
Qui ne sont pas encore en gerbe,
Le bon seigneur considérait
Celles dont grand bruit on ferait.
Aussitôt qu’il vit maître Enée,
Il dit d’une voix étonnée :
"Je t’ai bien longtemps attendu,
Mon fils, en ce pays perdu.
J’aurais douté de ta venue
Sans ta piété si connue ;
Mais j’en étais aussi certain
Que si je t’eusse eu dans la main.
J’eus peur de te voir dans Carthage
Enchevêtré d’un mariage,
Car, si le Destin n’a menti,
On te garde un meilleur parti.
Pour te parler en conscience,
Mille fois par impatience
J’ai crié d’un esprit mutin :
 « Maudit soit le fils de putain ! »
Il est vrai que le terme est rude,
Mais pardonne à ma promptitude.
C’est le vice de ma maison.
Quand on aime on est sans raison.
Viens donc, mon fils, que je t’embrasse,
Viens me baiser droit à la face ;
Viens, dis-je, sans plus différer."
Autant qu’une âme peut pleurer,
Du père de messire Enée
La barbe de pleurs fut baignée,
Et d’Anchise l’enfant gâté
Versa des pleurs en quantité,
Disant telle ou semblable chose :
"O de mes pleurs l’aimable cause,
Mon cher et bien-aimé papa,
Qui m’avez depuis pe à pa