Aller au contenu

Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/539

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Puis, riant et lui faisant fête,
Et se grattant un peu la tête,
Car devant que complimenter
Il soulait sa tête gratter,
Ainsi qu’on lit dans son histoire,
Voici, si j’ai bonne mémoire,
Ce qu’en troyen mal prononcé
Il dit, en vieillard bien sensé,
Au révérend messire Enée :
"Que bénite soit la journée
Que je vous vois de mes deux yeux,
Monsieur Aeneas le pieux !
En vous je crois voir votre père,
Car, pour Madame votre mère,
Nous savons ce que nous savons ;
Mais bouche close, et poursuivons.
Votre père donc, que Dieu garde !…
Foin, il est mort, et par mégarde
Je viens de lui faire un souhait
Tel que pour un vivant on fait ;
J’ai peine à m’empêcher d’en rire.
Votre père donc, veux-je dire,
Que Dieu garde en son paradis,
Etait homme des plus hardis,
Grand joueur de trente et quarante
Et dansait des mieux la courante,
Au reste de vertu pourvu
Aussitôt que je vous ai vu,
J’ai cru le voir, tant il me semble
Que Votre Altesse lui ressemble :
Vous êtes pourtant plus replet,
Au lieu qu’il était maigrelet,
Et qu’il portait la barbe large,
Sans y pratiquer une marge,
Sur la lèvre se pincetant
Le poil, à grand’peine naissant,
Comme je vois bien que vous faites ;
Pour moi, j’ai perdu mes pincettes,
Et, quand aujourd’hui j’en aurais,
Point ou peu me pincetterais ;