Page:Scarron - Oeuvres T3, Jean-François Bastien 1786.djvu/293

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LES HYPOCRITES


Ce fut dans le tems que la plus agréable saison de l’année habille la campagne de ses livrées, qu’une femme arriva dans Tolède, ville d’Espagne la plus ancienne et la plus renommée. Cette femme étoit belle, jeune, artificieuse, et si ennemie de la vérité, qu’il se passoit des années entières sans que cette vertu parût une fois seulement dans sa bouche ; et ce qui est de plus merveilleux, c’est qu’elle ne s’en trouva jamais mal, au moins ne s’en plaignit-elle jamais. Aussi mentoit-elle quasi toujours avec succès ; et il n’y a rien de plus vrai qu’une bourde de sa façon a quelquefois mérité l’approbation des plus sévéres ennemis du mensonge. Elle en pouvoit fournir les poëtes et les astrologues les plus achalandés ; enfin cette grâce naturelle fut telle, que jointe à la beauté de son visage elle lui acquit en peu de tems des pistoles à proportion de ses attraits. Ses yeux étoient noirs, vifs, doux, bien fendus, braves de la dernière bravoure quoique grands fanfarons, convaincus de quatre ou cinq meurtres, soupçonnés de plus de cinquante qui n’étoient pas encore bien vérifiés ; et pour les misérables qu’ils avoient blessés ; le nombre ne s’en pouvoit compter ni même s’imaginer. Jamais on ne s’habilla mieux qu’elle ; la moindre épingle attachée de sa main, avoit un agrément particulier. Elle ne prit jamais avis de personne sur sa coëffure, et son seul miroir étoit tout à la fois son conseil d’état, de guerre et de finance. O la dangereuse femme à voir ! puisqu’on ne pouvoit s*empêcher de l’aimer , et qu’on ne pouvoit l’aimer longtems et être longtems à son aise. Cette dame faite de la façon que je viens de vous la dépeindre, entra dans Tolède au commencement de la nuit,