Page:Scarron - Oeuvres T3, Jean-François Bastien 1786.djvu/433

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LE CHATIMENT DE L’AVARICE.

Il n’y a pas long-tems qu’un jeune garçon aussi ambitieux que pauvre, et se piquant encore plus d’être cru gentilhomme, que d’être estimé animal raisonnable, sortie des montagnes de Navarre, et vint avec son père chercher dans Madrid ce qui ne se rencontroit pas dans son pays, je veux dire des bienfaits de la fortune, qui se trouvent à la cour plutôt qu’ailleurs, et qui ne s’y acquièrent guéres qu’en demandant et en se faisant souvent refuser. Il eut le crédit, je ne sai pas comment, d’être reçu page chez un prince (condition qui en Espagne n’est pas si heureuse que celle de laquais en France, et qui n’y est guéres plus honorable.) Il prit les livrées à douze ans, et dès ce tems-là il fut le page du monde le plus ménager et le plus fripon. Il n’avoit pour tout bien que ses hautes espérances, et un pauvre lit dressé dans un petit galetas, qu’il avoit loué dans le quartier de son maître, et là il se retiroit la nuit avec son père, riche d’années, puisqu’il en vivoit, et que faisant par-là pitié à tout le monde il en recevoit des charités. Ce vieux pére mourut, et son fils s’en réjouit, se croyant déjà enrichi de ce que son pére ne dépenseroit point. Dès-lors il s’imposa lui-même une frugalité si grande, et une régle de vie si étroite et si austére, qu’il ne dépensoit presque rien du peu d’argent qu’on lui donnoit chaque jour pour vivre. Il est vrai que c’étoit aux dépens de son estomac, et de tous ceux de sa connoissance. Dom-Marcos (c’étoit son nom) étoit d’une taille plus petite que moyenne, et faute de nourriture devint bientôt l’homme du monde le plus mince et le plus sec. Quand il servoit son maître