Page:Scarron - Théâtre complet, tome 3, 1775.djvu/338

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Qu'on cherche avecques soin, tous les plus braves hommes,

Tant des Siècles passés, que du Siècle où nous sommes.

Tous les plus grands esprits et les plus grands guerriers,

Qui par de grands travaux ont acquis des lauriers.

Et si l'esprit humain en un seul les assemble,

On trouvera pour lors celui qui me ressemble.

Mon esprit admirable est au-delà des sens,

Et ce seul bras fait honte, aux bras des plus puissants !

Je frappe les projets des orgueilleux Monarques,

Je suis le nourricier, le giboyeur des Parques.

Tout ce grand Univers que je remplis d'effroi,

Subsiste par ma force et n'agit que par moi.

Je respire les vents, qui ronflent sur la terre,

Ma salive est la pluie, et ma voix le tonnerre.

Je suis le Roi du monde et le visible Atlas,

Qui peut tout soutenir par l'effort de ses bras.

Mon trône c'est la terre, et ce qui l'environne,

Les Astres sont ma suite, et le Ciel ma Couronne.

Mon sceptre le voici, ce fardeau précieux,

Tourne à mon gré la Terre, et la Mer, et les Cieux.

Mais tout ce grand pouvoir ne me saurait défendre,

D'un petit avorton qui me réduit en cendre.

Ô Dieux en le disant ! Quels feux ai-je sentis,

Je fume, je suis chaud, je rougis, je rôtis :

Je grille, je rissole ? Ah je suis cuit, je brûle,

N'aurais-je point mangé la chemise d'Hercule ?

Holà hauts estafiers, apportez promptement

Pour éteindre mon feu, le liquide élément.

Mais l'eau m'est inutile au feu qui me dévore,

Afin de l'apaiser, allons voir mon Aurore.

Un seul de ses regards alentira mes feux,

Et me pourra donner la gloire que je veux.

Holà.

(Il frappe à la porte de Boniface.)