supériorité était évidente. Au fond de toutes ces querelles il y avait des rancunes ou des sympathies, rien de plus. Mademoiselle de Gournay procède tout autrement, sa thèse est simple : pour elle, l’homme et la femme sont des créatures équivalentes. Tous deux sont nécessaires à la propagation de l’espèce et par conséquent aucun des deux ne doit l’emporter sur l’autre. La seule différence qui puisse s’établir entre les hommes est une différence d’intelligence et de culture. La femme a, comme l’homme, le droit de penser. Elle a le droit d’acquérir cette habitude de l’application au travail que donne l’étude, et cette souplesse d’esprit que les hommes n’ont pas voulu lui laisser prendre. Chaque sexe a ses attributions, mais ils peuvent se rencontrer et se mesurer dans le domaine intellectuel. Si l’homme déraisonne, on doit, en dépit de sa barbe, lui tourner le dos ; si la femme, elle, a du bon sens et de bonnes pensées, il faut en tenir compte. Et, sans donner a priori l’avantage à l’un ni à l’autre, il convient d’accorder aux femmes le bénéfice de l’égalité. Cette façon de voir, en un temps où la majorité des honnêtes gens pensait ce que Molière devait exprimer plus tard dans les Femmes savantes, indique une réelle indépendance de jugement et un grand courage. S’exposer au ridicule, lui tenir tête et même conquérir l’estime de ses adversaires, c’est ce qu’a su faire Mademoiselle de Gournay, et certes cela n’était pas facile. Cet effort, pas plus que la campagne de la fille d’alliance de Montaigne en faveur de la vieille langue, n’a eu de résultats pratiques, mais il n’en est pas
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