Page:Schiller - Théâtre, trad. Marmier, deuxième série, 1903.djvu/14

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de les délivrer. 
C'en est fait de cette contrée chérie, si Albe, 
Ce rude bourreau du fanatisme, 
Se présente devant Bruxelles avec les lois d'Espagne. 
Sur le glorieux petit-fils de l'empereur Charles repose 
Le dernier espoir de ces nobles pays. 
Ils succombent, si ce cœur généreux 
A cessé de battre pour l'humanité.

CARLOS. Ils succomberont.

LE MARQUIS.                      Malheur à moi ! qu'ai-je entendu ?

CARLOS. Tu parles d'un temps qui est bien loin. Moi aussi j'ai rêvé un Carlos dont le visage s'enflammait au nom de la liberté... Mais celui-là est enseveli depuis longtemps. Celui que tu vois ici n'est plus ce Carlos qui te dit adieu à Alcala ; qui, dans sa douce ivresse, espérait être en Espagne le créateur d'un nouvel âge d'or... Ah ! c'était une pensée d'enfant, mais elle était divinement belle. Ces rêves sont passés!

LE MARQUIS. Ces rêves, prince?,.. Ce n'étaient donc que des rêves?..,

CARLOS. Laisse-moi pleurer, pleurer sur ton cœur à chaudes larmes. Oh! mon unique ami! je n'ai personne sur cette vaste terre, personne, personne. Aussi loin que la domination de mon père s'étend, aussi loin que nos vaisseaux portent nos pavillons, je n'ai pas une place, pas une, où je puisse me soulager par mes larmes, si ce n'est celle-ci ! Oh ! Rodrigue ! par tout ce que toi et moi nous espérons obtenir un jour dans lo ciel, ne me bannis point de cette place. (le marquis se. penche sur lui dans une muette émotion.) Dis-toi que je suis un orphelin que tu as recueilli avec compassion an pied d'un trAne. Je ne sais ce que c'est qu'un père. je suis un fils de roi... Oh ! s'il est vrai, comme mon coMir me le dit, que tu te sois rencontré pour me comprendre parmi des millions d'hommes; s'il est vrai que la nature créatrice a reproduit Rodrigue en Carlos, et qu'au matin de notre vie les fibres délicates de nos êmes eurent le même mouvement; si une larmo qui me soulage t'est plusehèreque la faveur de mon père...