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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/135

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et comment elle fait partie de ce que vous tenez pour les biens les plus hauts et les plus précieux[1] ; je voudrais vous mener au faîte du temple, afin que vous puissiez dominer du regard le sanctuaire tout entier, et découvrir ses secrets les plus intimes. Pouvez-vous sérieusement supposer chez moi la croyance que ceux qui se donnent quotidiennement le plus de peine et de mal pour les choses terrestres soient les plus particulièrement qualifiés pour atteindre à une telle intimité avec celles du ciel ? Que ceux qui couvent d’un œil craintif l’instant le plus proche, et sont solidement enchaînés aux objets les plus proches, soient capables de s’élever à la vision la plus vaste de l’Univers ? Et que celui qui, dans les monotones alternances d’une activité professionnelle sans vie, ne s’est pas encore trouvé lui-même, découvrira, éclairée des rayons les plus lumineux, la divinité vivante ? Vous êtes donc les seuls que je puisse appeler à moi, vous qui êtes capables de vous élever au-dessus du point de vue ordinaire de l’humanité, et ne craignez pas de vous engager sur la voie difficile qui conduit à l’intérieur de l’homme, pour trouver le fondement de son activité et de sa pensée.

Depuis que je me suis fait cet aveu, je me suis trouvé longtemps dans la disposition d’esprit hésitante de celui qui, regrettant la disparition d’un joyau qui lui est cher, [21] ne se déciderait pas à oser explorer le dernier endroit où cet objet pourrait être caché. Il y a eu des temps où vous considériez encore comme la preuve d’un particulier courage de vous détacher partiellement de la religion ; où vous lisiez et écoutiez volontiers ce qui était de nature à extirper une notion traditionnelle ; où il vous plaisait de voir se présenter aux regards une religion svelte et parée d’éloquence, parce que vous étiez disposés à maintenir, dans le sexe aimable tout au moins, un certain sentiment pour ce qui est sacré. Tout cela n’est plus. Il ne doit plus être du tout question de la piété, et l’on veut que les grâces elles-mêmes, avec une dureté qui n’a rien de féminin, détruisent la fleur la plus délicate de la fantaisie humaine. L’intérêt que j’exige de vous, je ne peux donc le rattacher à rien d’autre qu’à votre mépris lui-

  1. Résumé exact de ce que l’auteur entend faire, et fera.