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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/212

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venue où quelque chose d’apparenté à elle peut prendre vie.

Pareil insuccès n’est pas chose nouvelle pour moi. Combien de fois n’ai-je pas entonné la musique de ma religion pour émouvoir mon entourage, débutant par quelques notes isolées à voix basse, et m’élevant peu à peu avec une fougue juvénile, soulevé par la plénitude de mon aspiration, jusqu’à la plus pleine harmonie des sentiments religieux. Mais rien ne s’éveillait et rien ne répondait chez mes auditeurs. Les paroles aussi que je confie à présent, chargées de tout ce qu’elles devraient offrir de bon, à un cercle[1] plus large et plus disposé à se laisser émouvoir, de combien de côtés ne me reviendront-elles pas cependant tristes, incomprises, sans avoir éveillé même le plus léger pressentiment de ce qui était leur dessein. Et combien de fois devrai-je, moi et tous les messagers de la religion, renouveler encore l’expérience de ce destin, le nôtre, [136] à nous assigné dès l’origine. Cependant ce ne sera jamais là pour nous un sujet de tourment, car nous savons qu’il ne peut en être autrement ; et nous ne chercherons jamais à imposer notre religion par une autre voie quelconque, pas plus à cette génération qu’à celle à venir.

Alors que je manque moi-même, je le sens, de plus d’un des éléments que comporte la totalité humaine ; alors que beaucoup de ceux-ci manquent à tant d’êtres, quoi d’étonnant à ce que le nombre soit grand aussi de ceux auxquels la religion a été refusée. Il doit être nécessairement grand, car comment sans cela aurions-nous une intuition d’une part de la religion elle-même[2], d’autre part des limites qu’elle pose en tous sens aux autres aptitudes de l’homme ? D’où saurions-nous jusqu’où celui-ci peut parvenir, ici ou là sans elle, et où elle le soutient[3] et le fait progresser ? D’où devinerions-nous avec quel affairement elle travaille à agir en lui, même sans qu’il le sache ? En particulier conforme à la nature des choses est que, dans ces temps de confusion et de perturbation générales, chez

  1. Texte de B ; A disait plus vaguement : « à une atmosphère ».
  2. C ajoute : telle qu’elle est, je dirai devenue chair, dans son existence historique.
  3. C’est sans doute ici le sens de aufhalten, qui a au moins aussi souvent celui de « retenir ».