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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/228

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religieux se meurt de faiblesse indirecte par manque d’incitations.

Pour ceux dont le sens de l’Univers, plus vigoureux mais tout aussi peu cultivé, se tournant hardiment vers l’extérieur, cherche là aussi plus de matière et une matière nouvelle, il y a une autre fin, qui ne manifeste que trop distinctement leur discordance avec l’époque : une mort sthénique[1], donc, si vous voulez, une euthanasie, mais une euthanasie terrible, le suicide de l’esprit qui, incapable de comprendre le monde, dont l’essence intime, le grand sens, lui est resté étranger sous l’empire des vues mesquines de son éducation, trompé par des phénomènes confus, livré à des jeux de l’imagination déréglés, cherchant l’Univers et ses empreintes là où il n’a jamais été, en vient finalement à rompre complètement la connexion de l’intérieur et de l’extérieur, expulse la raison impuissante, et finit dans une sainte folie, dont personne presque ne discerne la source victime bruyamment plaintive, et pourtant incomprise, de l’universel mépris et mauvais traitement dont souffre ce qu’il y a de plus intime dans l’homme. Mais victime seulement, non héros : celui qui succombe, fût-ce seulement[2] dans la dernière épreuve, [161] ne peut pas être compté au nombre de ceux qui ont été initiés aux mystères les plus intimes[3].

Cette plainte, qu’il n’y a point parmi nous de représentants de la religion constants, et reconnus devant le monde entier, ne doit cependant pas infirmer ce que j’ai affirmé plus haut, sachant bien ce que je disais, à savoir que notre époque aussi n’est pas plus défavorable à la religion que n’importe quelle autre[4]. Certainement la religion n’a pas diminué en quantité dans ce monde, mais elle est morcelée, et trop éparpillée, par l’effet d’une violente pression ; par suite, elle ne se révèle que par des manifestations minimes et légères, mais nombreuses, qui renforcent la diversité du tout, et réjouissent l’œil du spectateur, plutôt qu’elles ne pourraient produire par le

  1. L’asthénie et la sthénie jouent un grand rôle dans la physiologie et la thérapeutique du médecin anglais Brown, très en vogue dans toute l’Europe au cours de la seconde moitié du xviiie siècle.
  2. A disait : communément.
  3. Welche die innersten Mysterien empfangen haben.
  4. Cf. p. 4.