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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/234

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toujours sur les lèvres des paroles amicales et des effusions de cœur[1], que toujours ils retiennent, parce qu’ils ne peuvent pas encore trouver la vraie nature et l’ultime raison de leur pensée et de leur aspiration. Ils sont dans l’attente d’une révélation plus directe et, souffrant et soupirant sous une égale compression, ils se voient mutuellement endurer leur épreuve, intimement attirés l’un vers l’autre et animés d’un sentiment profond peut-être, mais sans amour. Cette compression commune a-t-elle pour seule fin, d’amener l’heureux moment de leur réunion ? Ou bien allez-vous livrer un grand combat pour celui des deux qui vous est si cher, auquel cas il s’empressera sûrement de s’occuper de l’autre [170] avec, pour le moins, une fidélité fraternelle.

Mais pour le moment les deux espèces de religion ne manquent pas seulement de l’aide de l’art, en elle-même aussi leur situation est pire qu’en d’autres temps.

À une époque où une ratiocination scientifique dépourvue de vrais principes n’altérait pas encore par sa vulgarité la pureté du sens, les deux sources de l’intuition de l’Infini coulaient à grands flots magnifiques, bien qu’aucune des deux ne fût assez riche pour donner ce qu’elle peut produire de plus haut. Maintenant, elles sont de plus troublées par la perte de la simplicité et par l’influence pernicieuse d’une façon de voir présomptueuse et fausse. Comment les purifiera-t-on ? Comment leur procurera-t-on assez de force et de plénitude pour qu’elles puissent féconder le sol et y faire pousser plus que des produits éphémères ? Les faire converger et les réunir dans un seul lit, voilà l’unique moyen qui peut mener la religion à sa perfection sur la voie que nous suivons ; ce serait une conjoncture du sein de laquelle elle sortirait bientôt pour aller au-devant de temps meilleurs sous une forme nouvelle et magnifique.

Considérez et voyez : le but de vos plus hauts efforts actuels est en même temps la résurrection de la religion ! Ce sont vos dépenses d’énergie qui doivent amener cet événement, et je célèbre en vous, bien que vous le soyez sans dessein, les sauveurs [171] et mainteneurs de la reli-

  1. Les Effusions de cœur d’un moine ami des arts, de Tieck et Wackenroder, avaient paru en 1797.