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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/287

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Leur erreur a été de penser que, si tant d’êtres humains s’approprient la même religion, c’est qu’ils partagent aussi les mêmes vues et les mêmes sentiments religieux, les mêmes opinions et les mêmes croyances, et que c’est ce qu’il y a là de commun entre eux qui doit constituer l’essence de leur religion. Il n’est nulle part facilement possible d’établir avec certitude ce qui est proprement l’élément caractéristique et individuel d’une religion, quand on cherche à l’abstraire de ce qu’elle a de particulier ; mais c’est dans cet élément commun dont je viens de parler[1], si générale que soit cette notion, que l’essence en question a le moins de chance de se trouver, et si par hasard vous croyez, vous aussi, que la raison pour laquelle les religions positives diminuent chez le croyant la liberté [251] dans l’agencement de sa religion[2], c’est qu’elles exigent une somme déterminée d’intuitions et de sentiments et en excluent d’autres, vous êtes dans l’erreur.

Des intuitions et des sentiments existant à l’état isolé sont, comme vous le savez, les éléments de la religion ; considérer ceux-ci d’une façon purement quantitative, en supputant combien d’entre eux, et surtout, de quelle espèce, sont présents, cela ne peut absolument pas conduire à distinguer le caractère d’une religion individuelle. Si la raison pour laquelle la religion doit s’individualiser est que, de toute intuition, des vues diverses sont possibles, selon le rapport qu’on établit entre elle et les autres, un tel assemblage, exclusif de plusieurs d’entre elles, par quoi aucune de ces vues possibles n’est déterminée, ne nous serait d’aucune utilité, et si les religions positives ne se distinguaient les unes des autres que par une telle exclusion, elles ne seraient assurément pas les manifestations individuelles que nous cherchons. Mais cela n’est en fait pas leur caractère ; la preuve en est que, en partant de ce point de vue, il est impossible de se faire d’elles une idée déterminée. Là il est nécessaire qu’une telle idée soit à leur base, car sinon elles ne tarderaient pas à se mêler et se confondre.

  1. La logique dicte cette interprétation, alors que, grammaticalement, hierin devrait au contraire se rapporter à « l’élément caractéristique et individuel ».
  2. Au sujet de cette crainte, cf. p. 246, note 10, et 264, note 32.