Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/296

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plus proche du centre, et cela seulement. La moisson est grande, et les ouvriers sont peu nombreux[1]. Dans chacune de ces religions un champ infini est ouvert, où des milliers peuvent se disperser ; assez de régions encore incultes se présenteront aux yeux de quiconque est capable de créer et produire quelque chose qui soit son œuvre propre[2], et des fleurs saintes répandent leur parfum et leur éclat dans toutes les régions où personne encore n’a pénétré pour les contempler et en jouir.

Votre objection, d’après laquelle, au sein d’une religion positive, l’homme ne pourrait plus développer la sienne d’une façon qui lui soit propre, cette objection est si peu fondée que non seulement, comme vous venez de le voir, ces religions laissent à chacun un champ suffisant, mais que, dans la mesure précisément où un être humain adhère à une religion positive, et pour la raison même qui l’y fait adhérer, la sienne, dans un autre sens encore, non seulement peut être un individu, mais le deviendra d’elle-même[3].

Considérez de nouveau l’instant sublime où l’homme pénètre pour la toute première fois dans le domaine de la religion. La première vue religieuse déterminée qui pénètre dans son âme avec une force telle que, [265] par cette seule excitation, son organe pour l’Univers est éveillé à la vie et mis en activité pour toujours désormais, cette vue détermine assurément sa religion, elle est et reste son intuition fondamentale, par rapport à laquelle il considérer à toute chose, et ainsi se trouve déterminée à l’avance la figure sous laquelle chaque élément de la religion, sitôt qu’il en a la perception, doit lui apparaître. C’est là le côté objectif de ce moment. Mais considérez-en aussi le côté, subjectif.

Par l’effet de ce moment, la religion de cet être est à cet égard déterminée en ce sens qu’elle se rapporte à un individu, parfaitement délimité à l’égard du Tout infini, mais qui n’est pourtant qu’un fragment indéterminé de

  1. Dans le commentaire 9, le théologien reconnaît que, dans ce qui précède, il n’a pas assez tenu compte du degré de développement atteint par les grandes religions positives.
  2. Au sujet de l’objection combattue ici, cf. p. 246, note 10, et p. 251, note 16.
  3. Matthieu IX, 37.