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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/301

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sont. Aucun être humain ne peut entrer dans l’existence en tant qu’individu sans être transféré en même temps aussi, par le même acte, dans un monde, un ordre déterminé des choses, et parmi des objets distincts les uns des autres ; de même un homme religieux ne peut pas atteindre à son individualité sans s’insérer aussi par le même acte dans une forme déterminée quelconque de la religion. Les deux faits sont la conséquence d’une seule et même cause, et ne peuvent donc pas être séparés l’un de l’autre. Si l’originelle intuition de l’Univers n’a pas assez de force chez un homme pour s’instituer elle-même [272] centre de sa religion, autour duquel tout en elle se meut, son charme aussi n’agit pas assez fortement pour mettre en mouvement le processus d’une vie religieuse personnelle et vigoureuse.

Et maintenant, après que je vous ai présenté ainsi mon compte rendu, dites-moi à votre tour ce qu’il en est, dans votre religion naturelle si vantée, de ce façonnement personnel, de cette individualisation ? Montrez-moi donc, parmi ceux aussi qui la professent, une telle diversité de caractères fortement marqués ! Car je dois avouer que je n’ai jamais pu moi-même les trouver parmi eux, et si vous la louez de laisser à ses adhérents plus de liberté de se développer religieusement selon leur sens propre, je ne peux concevoir cette liberté, — et le mot est souvent employé dans cette acception que comme celle de se passer aussi de culture, — la liberté à l’égard de tout ce qui peut contraindre à être, voir et ressentir quelque chose de déterminé. La religion joue vraiment dans leur esprit un rôle par trop indigent. Il semble qu’elle n’ait en elle aucune pulsation propre, aucun système de vaisseaux à elle, aucune circulation propre, et par conséquent aucune température propre, aucune force attractive d’assimilation, et aucun caractère ; elle est partout en [273] état d’amalgame avec sa moralité et son affectivité naturelle ; en liaison avec celles-ci, ou plutôt, humblement à leur suite, elle se meut paresseusement et parcimonieusement, et ne se sépare d’elles qu’occasionnellement, rejetée par gouttelettes, pour donner un signe de son existence. Il m’est arrivé, il est vrai, de rencontrer maint caractère