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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/308

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le plus petit éloge qu’on puisse faire d’eux, mais c’est aussi la source de grands malentendus. Le moment où eux-mêmes ont été remplis par l’intuition qui s’est faite le centre de leur religion leur est toujours sacré ; il leur apparaît comme l’effet d’une action directe de la Divinité, et ils ne parlent jamais de ce qui leur est particulier dans la religion et de la forme que celle-ci a prise en eux, sans y faire [283] d’allusion.

Vous pouvez imaginer dès lors combien plus sacré encore doit être pour eux le moment où d’abord cette intuition infinie a été, pour la première fois, posée dans le monde comme fondement et centre d’une religion ayant sa nature propre. À ce moment se rattache en effet, tout aussi historiquement, toute l’évolution de cette religion, dans toutes les générations et chez tous les individus. Or cette totalité religieuse et la formation religieuse d’une grande masse de l’humanité, voilà qui est chose bien plus grande que leur propre vie religieuse, et le petit fragment de cette religion qu’ils représentent personnellement. Ce fait, ils le magnifient donc de toutes les manières, ils accumulent sur lui toutes les parures de l’art religieux, ils l’adorent comme l’action miraculeuse du Très Haut, la plus riche et la plus bienfaisante, et ne parlent jamais de leur religion, n’exposent jamais un de ses éléments, sans mettre celui-ci en relation avec ce fait et le présenter dans cette connexion.

Si donc la mention constante de ce fait accompagne toutes les extériorisations de la religion et leur donne une couleur particulière, rien de plus naturel que de confondre ce fait avec l’intuition fondamentale de la religion elle-même[1] ; cette confusion a égaré bien près de tous[2] et altéré la vision de presque toutes les religions. N’oubliez donc jamais que l’intuition fondamentale d’une religion ne peut être [284] qu’une quelconque intuition de l’Infini dans le fini, un quelconque élément général de la religion, qui peut cependant se rencontrer aussi dans toutes les autres, et devrait s’y rencontrer elle.

  1. Cf. remarque analogue, p. 116.
  2. Nur nicht alle, qui reste indéterminé.